Edouard Philippe et Muriel Pénicaud, le 9 février 2018. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Après la réécriture du code du travail, le deuxième gros chantier social du gouvernement commence à prendre tournure. Vendredi 9 février, le premier ministre Edouard Philippe et la ministre du travail Muriel Pénicaud ont dévoilé les grandes orientations de la réforme de l’apprentissage, l’un des trois volets d’un projet plus global visant à sécuriser les parcours professionnels de tous les actifs – les deux autres portant sur la transformation de l’assurance-chômage et de la formation continue. L’occasion, pour le gouvernement, d’annoncer une vingtaine de mesures qui modifient en profondeur la gouvernance du système, son financement et les règles applicables aux apprentis.

Les mots d’ordre de l’exécutif ont déjà été entendus sous de précédentes législatures : il faut développer l’apprentissage car cette filière affiche de bons résultats en termes de retour à l’emploi. Sept jeunes sur dix qui vont au bout de leur contrat trouvent un poste six mois après. Or le nombre de nouveaux entrants dans le dispositif plafonne : un peu plus de 296 000 en 2017, soit un niveau très légèrement supérieur à celui relevé dix ans plus tôt.

Financement chamboulé

Pour sortir de cette langueur, le gouvernement considère qu’il faut mettre fin à la logique « administrative » qui a prévalu jusqu’à présent. A l’avenir, un centre de formation d’apprentis (CFA) pourra ouvrir sans requérir l’imprimatur des conseils régionaux (ou, dans quelques cas, de l’Etat) : le but est de répondre plus promptement aux besoins en compétences exprimés par les patrons. Une libéralisation réclamée de longue date par les instances nationales du Medef, mais qui inquiète les régions. Elles redoutent que les CFA nouvellement créés entrent en concurrence avec des lycées professionnels (LP) situés à proximité et proposant des cursus similaires.

Afin d’éviter cet écueil, elles continueront de jouer un rôle régulateur, à travers un « schéma régional », cosigné avec les branches professionnelles – qui représentent le monde de l’entreprise, secteur par secteur. Ce « schéma » livrera une estimation, pour plusieurs années, des formations à assurer sur des métiers donnés et fixera une prévision d’investissements au profit des CFA. Attention, souligne-t-on dans l’entourage de la ministre du travail, Muriel Pénicaud : il ne s’agit pas maintenir la « gestion malthusienne » qui règne aujourd’hui ; le principe de libre création du CFA est bel et bien inscrit au cœur de la réforme.

S’agissant du financement, tout est chamboulé, là aussi. La taxe d’apprentissage, dont 51 % était reversée aux régions, va être remplacée par une « contribution alternance » en faveur des contrats d’apprentissage et des contrats de professionnalisation. Le produit de ce prélèvement, égal à 0,85 % de la masse salariale des sociétés (soit un peu plus de 4 milliards d’euros), redescendra intégralement vers les CFA, en fonction du nombre de contrats signés avec des jeunes. Un bouleversement majeur qui favorise les centres de formation dynamiques, en adéquation avec les besoins des employeurs, estime-t-on dans l’entourage de Mme Pénicaud. Mais certains CFA, dont l’équilibre financier était tributaire de subsides alloués par les régions, risquent d’en faire les frais et d’être contraints de mettre la clé sous la porte.

Rémunération en hausse

Les conseils régionaux ne sont pas entièrement dépouillés, contrairement à ce que certains scénarios pouvaient laisser supposer initialement. Ils conserveront une toute petite fraction de la « cotisation alternance » (environ 250 millions d’euros), notamment pour soutenir des CFA implantés dans des zones rurales et dans des quartiers relevant de la politique de la ville. Et une part de la TICPE (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques) leur sera octroyée, à hauteur de 150 millions. Ce sont eux, par ailleurs, qui distribueront aux entreprises les aides à l’apprentissage, en vertu d’une procédure beaucoup plus lisible : à l’heure actuelle, il existe trois subventions à l’embauche et un crédit d’impôt ; ces lignes de financement seront unifiées, de manière à en faciliter l’accès pour les employeurs.

Dans le but d’accueillir un plus grand nombre de jeunes dans les CFA, plusieurs mesures incitatives sont prises – la plus frappante étant l’aide de 500 euros attribuée aux apprentis majeurs pour passer le permis de conduire. Un coup de pouce qui cherche à répondre aux difficultés rencontrées par les intéressés pour gagner leur lieu de travail ou leur centre de formation. La rémunération des 16-20 ans, en apprentissage, sera par ailleurs revue à la hausse (en moyenne, de 30 euros nets par mois).

Le temps de travail pourra être porté à 40 heures par semaine

Autre disposition très importante : les apprentis, dont le contrat est interrompu avant terme (ce qui arrive dans un plus peu d’un quart des cas), auront le droit de prolonger pendant six mois leur formation au sein du CFA. Jusqu’à maintenant, une telle possibilité ne leur était pas offerte et ils perdaient une année, mentionne-t-on au ministère du travail. Le gouvernement s’engage vis-à-vis des familles et de leurs enfants à faire la « transparence » sur la « qualité » des formations offertes : seront ainsi rendus publics les taux d’insertion dans l’emploi et de réussite pour obtenir un diplôme, pour chaque CFA et pour chaque lycée professionnel. Des données seront aussi mises à disposition sur les rémunérations pratiquées. L’objectif est de permettre aux jeunes de choisir leur filière, « de façon documentée et éclairée ». Dans l’optique, toujours, d’élargir l’ouverture au système, celui-ci aura la possibilité de prendre en charge des personnes jusqu’à 30 ans – contre 26, sauf exception, aujourd’hui.

Des mesures sont prévues pour « lever les freins », liés à la réglementation, et encourager les patrons à « s’engager dans l’apprentissage ». Ainsi, le temps de travail maximum pourra être porté à 40 heures par semaine dans certains secteurs, comme le bâtiment ou les travaux publics, la rémunération étant majorée au-delà du seuil de 35 heures ; la législation sur les horaires de travail sera également assouplie chez les boulangers-pâtissiers. Un employeur aura par ailleurs la faculté de recruter à n’importe quel moment, ce qui constitue une autre nouveauté de taille. Aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas, c’est le cycle scolaire qui cadre la période d’embauche – le plus souvent sur le dernier quadrimestre de l’année civile. Enfin, si une entreprise souhaite rompre un contrat d’apprentissage, elle n’aura plus à saisir les prud’hommes, alors qu’elle y est tenue, actuellement, au bout de 45 jours de présence du jeune en son sein.