Editorial du « Monde ». On l’avait tellement appelé de nos vœux qu’il est difficile de ne pas se réjouir de l’accord de coalition gouvernementale enfin conclu à Berlin, mercredi 7 février, par l’alliance des chrétiens-démocrates (CDU-CSU) de la chancelière Angela Merkel et le Parti social-démocrate (SPD) de Martin Schulz. Après des mois de pourparlers, consécutifs aux élections du 24 septembre, cet accord a, d’abord, le mérite d’exister. S’il est approuvé par la base du SPD en mars, l’Allemagne aura enfin un gouvernement et ses partenaires européens un interlocuteur actif à Berlin.

L’autre bonne nouvelle de cet accord est son orientation pro-européenne. Paris va pouvoir retrouver son coéquipier du tandem franco-allemand. Après un départ en fanfare, pendant les trois mois qui ont séparé les élections françaises de 2017 et le scrutin allemand, ce tandem était de nouveau en panne. L’élan européen donné par la victoire du président Emmanuel Macron et son discours de la Sorbonne, le 26 septembre, a été considérablement freiné, pour ne pas dire coupé net, par la paralysie allemande.

M. Macron aura en effet en Martin Schulz, ancien président du Parlement européen, un renfort enthousiaste sur l’intégration européenne, s’il est confirmé comme ministre des affaires étrangères. Le contrat de gouvernement commence par un chapitre intitulé « Un sursaut pour l’Europe » : c’est la première fois que l’Europe figure de manière aussi prééminente dans un accord de coalition allemande. Son contenu va dans le sens souhaité par Paris ; le compromis trouvé sur l’Europe signe la « fin du diktat de l’austérité », a souligné M. Schulz. Adieu, Wolfgang Schäuble ! Le ministre des finances conservateur, qui aura incarné cette politique pendant toute la crise de la dette, préside aujourd’hui le Bundestag.

Méfiance des électeurs

Voilà pour les bonnes nouvelles, que le réalisme impose cependant de tempérer. Ce chapitre prometteur sur l’Europe est formulé de manière si vague qu’il laisse une large marge de manœuvre à celui qui est appelé à succéder à M. Schäuble, Olaf Scholz. Bien qu’issu du SPD, M. Scholz n’a pas la réputation d’être un partisan débridé de la dépense publique. Le « budget d’investissement pour la zone euro » envisagé dans l’accord ne marque pas une réelle rupture avec la politique du gouvernement sortant. Concrètement, il n’y a pas dans ce texte d’adhésion formelle aux propositions de M. Macron. Le sujet de l’approfondissement de la zone euro reste donc très ouvert.

Il est d’autant plus ouvert que cette « GroKo » issue des négociations, comme disent les Allemands pour désigner la grande coalition, correspond exactement à ce que les électeurs avaient rejeté par leur vote du 24 septembre. Autant la CDU que le SPD étaient sortis affaiblis de ce scrutin, qui avait vu les extrémistes de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) gagner 94 sièges au Bundestag. Cette GroKo reste une coalition par défaut, les libéraux du FDP ayant refusé l’offre de Mme Merkel. Un sondage publié par Der Spiegel jeudi confirme la méfiance des électeurs : 57 % des Allemands y ont déclaré avoir une opinion négative de la nouvelle grande coalition.

Il reste à espérer trois choses : que le SPD donne son feu vert à cette coalition ; que les Allemands digèrent et tirent parti du tremblement de terre politique qu’ils ont subi ; et, enfin, que Mme Merkel retrouve le goût et le talent de gouverner. Alors, ce quatrième et, sans doute, dernier mandat pourra être celui de la relance de l’Europe.