Editorial du « Monde » Le Ritz Carlton est rouvert. Ce qui pourrait passer, à Paris ou à Londres, pour une simple annonce de l’achèvement de travaux de rénovation signale, à Riyad, la fin d’une opération d’un tout autre genre. L’entreprise de rénovation dont le palace a été le théâtre ces dernières semaines dans la capitale saoudienne, jusqu’à sa réouverture au public dimanche 11 février, est celle du pouvoir politique dans le royaume, que le jeune prince héritier Mohammed Ben Salman, dit « MBS », a décidé de réorganiser de fond en comble.

Entre novembre et février, au moins 200 personnalités saoudiennes, en bonne partie des princes de la très nombreuse famille royale des Saoud, ont été détenues au Ritz Carlton, dans le cadre d’un coup de filet anticorruption sans précédent. Elles ont été relâchées soit après avoir plaidé coupable et accepté un accord à l’amiable impliquant la restitution de titres ou de biens mal acquis, soit après avoir été blanchies de toute malversation. Le plus célèbre des détenus du Ritz Carlton, le prince Walid Ben Talal, première fortune du monde arabe (18 milliards de dollars, soit plus de 14 milliards d’euros), a pu rentrer chez lui le 27 janvier. La veille, il avait reçu la BBC dans sa prison dorée, affirmant se sentir « comme chez lui », mais pâle et amaigri.

Selon le Financial Times, les autorités saoudiennes escomptent réinjecter dans les caisses de l’Etat 13,3 milliards de dollars (près de 11 milliards d’euros) d’ici à la fin de l’année grâce à cette opération. Elles considèrent que les sommes et biens frauduleusement acquis par les élites saoudiennes s’élèvent à quelque 100 milliards de dollars. Les sommes issues de la vente des biens recouvrés, mobiliers et immobiliers, en Arabie saoudite et à l’étranger, contribueront à combler une partie de l’important déficit budgétaire.

Briser le système de décision collégiale

Au-delà des considérations fiscales, cependant, et même au-delà du sujet non négligeable de la lutte anticorruption, le véritable objectif de cette opération « mains propres » version saoudienne était celui de la réorganisation du pouvoir au sommet du royaume. L’ambitieux prince héritier, qui n’est âgé que de 32 ans, entend mener une transformation radicale du pays. Pour lui, cette transformation ne peut se faire que par le haut. Il fallait donc commencer par briser le système de décision collégiale mis en place ces dernières décennies par les rois Fahd puis Abdullah, qui laissait une grande latitude aux différentes branches de la famille royale.

Cette fragmentation, et donc déperdition, de l’autorité ne convenait pas aux plans du roi Salman et du prince héritier. Le pouvoir royal est maintenant centralisé, l’opération du Ritz Carlton ayant démontré aux princes que leurs abus n’étaient pas sans limites. C’est la troisième étape de la reprise en main du pouvoir à Ryad. La première a eu lieu en janvier 2015 lorsque, à la mort du roi Abdallah, son successeur, le roi Salman, a nommé son propre fils, Mohammed Ben Salman, ministre de la défense. En juin 2017, le roi a déposé le prince héritier Mohammed Ben Nayef et l’a remplacé par MBS : c’était la deuxième étape.

La question est évidemment ce que le remuant et déjà controversé MBS va faire de ce pouvoir. Son vrai défi, il le sait, est économique. A Davos, son ministre des finances, soucieux de rassurer les investisseurs étrangers, a reconnu que le royaume avait « mal communiqué » sur l’affaire du Ritz Carlton. Il y a, en effet, fort à faire sur ce front-là.