Jean-Pierre Clamadieu, président du comité exécutif du chimiste belge Solvay,devrait succéder à Gérard Mestrallet à la présidence du conseil d’administration d’Engie. / ERIC PIERMONT / AFP

Le président de la République et les administrateurs d’Engie ont sifflé la fin de la partie. Ils sont tombés d’accord sur le nom de Jean-Pierre Clamadieu, président du comité exécutif du chimiste belge Solvay, pour succéder à Gérard Mestrallet à la présidence du conseil d’administration du géant de l’énergie, dont l’Etat détient encore 24,1 % du capital.

M. Clamadieu pourra rester patron de Solvay. Cet industriel reconnu et engagé sur les dossiers du développement durable et du changement climatique sera proposé comme administrateur d’Engie, mardi 13 février, lors d’un conseil d’administration extraordinaire. Il sera élu président à l’issue de l’assemblée générale du 18 mai. Il aura pour mission de contrôler la bonne exécution du plan stratégique défini en 2015 par M. Mestrallet, alors PDG, et l’actuelle directrice générale, Isabelle Kocher.

Alors que l’Etat actionnaire prônait la dissociation des fonctions de président du conseil et de directeur général, Mme Kocher s’est battue jusqu’au bout pour les cumuler et devenir ainsi la première femme PDG d’une entreprise du CAC 40. M. Clamadieu est, lui, un chaud partisan d’une dissociation des fonctions. Il l’a expérimentée chez Rhodia, puis chez Solvay. C’est à ses yeux le meilleur mode de gouvernance, et pas une forme de défiance vis-à-vis d’un directeur général.

Une solide réputation

Après douze ans dans le service public – notamment comme conseiller industriel au cabinet de la ministre du travail, Martine Aubry, entre 1991-1993 –, M. Clamadieu est entré chez Rhône-Poulenc. Devenu directeur général en pleine crise dix ans plus tard, il redresse Rhodia, l’ex-branche chimie du groupe au bord de la faillite, avant de mener à bien la fusion avec Solvay en 2011. Puis il recentre la séculaire maison belge sur la chimie à haute valeur ajoutée, notamment en déboursant 5 milliards d’euros en 2015 pour racheter l’américain Cytec, spécialiste des matériaux composites pour l’aéronautique.

Depuis une dizaine d’années, M. Clamadieu s’était ainsi forgé une solide réputation. Son nom avait été évoqué en 2011 pour remplacer Anne Lauvergeon à la tête d’Areva, où il préférera laisser la place à son condisciple du corps des Mines, Luc Oursel, déjà bras droit d’« Atomic Anne ». Il est de nouveau cité en 2014 pour succéder au PDG d’EDF, Henri Proglio, où l’Etat lui préférera le patron de Thales, Jean-Bernard Lévy. De nombreuses sources indiquent qu’il fait partie, comme Fabrice Brégier, encore numéro deux d’Airbus, des chefs d’entreprise les plus appréciés par le président de la République.

Discret mais influent au sein des instances patronales, M. Clamadieu est devenu le « monsieur développement durable » du Medef et de l’Association française des entreprises privées, le puissant lobby des grands groupes tricolores. Une conversion, ou plutôt une conviction, qui remonte à ses années chez Rhodia, persuadé que la réduction des émissions de gaz à effet de serre est « un objectif majeur pour tous les chefs d’entreprise ». Et qu’elle peut être source de croissance. C’est à lui que Laurence Parisot, alors présidente du Medef, confiera en 2007 la commission du développement durable. Elle lui permettra de s’investir dans le Grenelle de l’environnement lancé deux ans plus tard par le président de la République, Nicolas Sarkozy.

Connaissance des arcanes politico-économiques belges

Actif dans la préparation de la COP21 de Paris, il a aussi été à la manœuvre, en décembre 2017, pour mettre en avant l’action des grands groupes en faveur du climat lors du One Planet Summit organisé par M. Macron à Paris. Plus de 90 entreprises, dont la quasi-totalité du CAC 40, s’étaient alors engagées à mobiliser plusieurs dizaines de milliards d’euros pour rendre leurs activités climato-compatibles et « engager une baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre de la planète ».

M. Clamadieu connaît bien « sa » directrice générale. Il rencontre Mme Kocher depuis des années sur les sujets d’énergie et de climat, mais aussi au conseil d’administration de l’assureur AXA, où ils siègent tous les deux. Et sans doute partagent-ils une conviction profonde tout en affichant un solide optimisme naturel : sans inflexion forte des activités humaines, la planète court à sa perte.

Le candidat retenu coche aussi une case supplémentaire : sa connaissance des arcanes politico-économiques belges. Elle lui sera utile. Les relations de Engie avec les autorités, mais aussi l’opinion, ont souvent été conflictuelles, notamment sur les prix de l’électricité pratiqués par Electrabel, l’« EDF belge ». Autre sujet connexe : les 7 réacteurs nucléaires exploités par cette société outre-Quievain. Des centrales en fin de vie appelées à fermer dans moins de dix ans. Mme Kocher ne veut pas développer l’énergie nucléaire, qu’elle ne juge plus pertinente sur le Vieux Continent. Le gouvernement français souhaite que le nouveau président d’Engie s’attelle sérieusement à ce dossier.