Celui qui était aussi parolier du groupe Grateful Dead et rancher dans le Wyoming est l’auteur de la mythique « Déclaration d’indépendance du cyberespace » / Joi Ito / CC BY 2.0

John Perry Barlow, poète, rancher, auteur de chansons pour le groupe de rock Grateful Dead et cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, l’association de défense de la liberté d’expression sur Internet, est mort mercredi 7 février à l’âge de 70 ans à son domicile de San Francisco, en Californie. Il faisait partie de la première génération d’idéalistes de l’Internet, un monde qu’il voyait libre, gratuit et sans frontières.

John Perry Barlow était né le 3 octobre 1947 dans le comté de Sublette, dans l’Etat du Wyoming. Son père, Norman Barlow, était éleveur de bétail dans le ranch où sa famille s’était installée en 1907. Républicain, il était aussi membre du Sénat de l’Etat, et mormon de stricte obédience. Jusqu’en 6e, son fils n’a pas le droit de regarder la télévision.

Un essai visionnaire

John Perry Barlow s’est toujours distingué par son esprit libertaire. A l’âge de 15 ans, son indiscipline lui vaut d’être envoyé dans un internat privé dans le Colorado, un Etat de l’Ouest. Il y rencontre une autre forte tête, Bob Weir, un dyslexique avec qui il se noue d’amitié. Lorsque Bob Weir est expulsé de l’établissement, John Perry Barlow quitte l’école lui aussi.

On les retrouve à San Francisco, le haut lieu de la contestation de la jeunesse à la fin des années 1960. Ils logent au 710 Ashbury Street, la maison de Jerry Garcia, le chanteur vedette du groupe Grateful Dead. Bob Weir joue de la guitare. Il convainc John Perry Barlow, qui, entre-temps, s’est inscrit en religions comparées à l’université Wesleyenne, dans le Connecticut, de lui écrire des chansons. Puisant dans ses racines country, celui-ci signe quelques grands titres comme Cassidy. Et il présente au groupe Timothy Leary, le psychologue qui fait du prosélytisme pour le LSD.

Cassidy - The Grateful Dead
Durée : 04:37

En 1972, alors que son père est victime d’une attaque cardiaque, le parolier diplômé de théologie change d’orientation. Il reprend le ranch familial du Wyoming, dont il s’occupera pendant dix-sept ans, tout en continuant à écrire pour le « Dead ». Le groupe est à l’avant-garde des pionniers de l’Internet : il encourage les fans à faire des enregistrements pirates dans les concerts et à les diffuser. Les membres communiquent par un bulletin électronique, appelé The Well, l’émanation du Whole Earth Catalogue, publication phare de la contre-culture de l’époque. Tout naturellement, John Perry Barlow se familiarise avec le numérique.

En 1990, John Perry Barlow fonde l’Electronic Frontier Foundation avec deux amis rencontrés par l’intermédiaire du Well : Mitch Kapor, aujourd’hui un mécène de la liberté de la presse, et John Gilmore, de Sun Microsystems. A l’époque, il s’agit de protéger l’Internet des convoitises des gouvernements, pas encore de défendre les usagers contre les géants des technologies. Quatre ans plus tard, John Perry Barlow signe dans le magazine Wired un essai visionnaire sur « l’économie des idées ». Il y fait l’apologie du tout gratuit : « La meilleure manière d’augmenter la demande pour votre produit, écrit-il, c’est de le faire circuler gratuitement. »

« Je viens du cyberespace, la nouvelle résidence de l’esprit »

Sur le plan politique, John Perry Barlow sera longtemps aligné sur les républicains. Il a soutenu Dick Cheney, un voisin du Wyoming, avant de prendre ses distances lorsque celui-ci est devenu le tout-puissant vice-président de George W. Bush. En 1996, ulcéré par l’intention de Bill Clinton de faire passer une loi sur la « décence dans les communications », il rédige, à Davos, en Suisse, une « Déclaration d’indépendance du cyberespace », dont le lyrisme en a fait l’un des textes fondateurs de l’Internet, toujours cité aujourd’hui, même si le techno-utopisme a nettement régressé. Il s’y adresse aux gouvernements. « Je viens du cyberespace, la nouvelle résidence de l’esprit (…) Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté là où nous nous rassemblons. »

Après cette déclaration de guerre contre la censure, John Perry Barlow devient un missionnaire du mouvement « cyberlibertarien », allant de débats en conférences. En 2013, il contribue au lancement de la fondation Freedom of the Press. Pour lui, Edward Snowden, l’informaticien qui a fait « tomber » le masque de la NSA, l’agence américaine d’espionnage, est un « héros ». En 2015, son cœur s’arrête de battre pendant huit minutes. John Perry Barlow survit à l’accident mais en sort diminué sur le plan physique. Avec lui disparaît l’une des principales figures de la génération qui a fait la passerelle entre la contre-culture des années 1960 et la Silicon Valley.

John Perry Barlow en cinq dates

3 octobre 1947 Naissance (comté de Sublette, Wyoming)

1990 Crée l’Electronic Frontier Foundation

1996 Rédige une « déclaration d’indépendance du cyberespace »

2013 Participe au lancement de la fondation Freedom of the press

7 février 2018 Mort à San Francisco