Oxfam est dans la tourmente. Vendredi 9 février, un article du quotidien britannique The Times révélait que des employés de l’organisation humanitaire avaient engagé de jeunes prostituées en 2011 à Haïti au cours d’une mission consécutive au séisme qui avait ravagé le pays en 2010.

L’affaire a continué à faire la « une » d’une bonne partie de la presse britannique, lundi 12 février. D’autant que Penny Lawrence, directrice générale adjointe de l’organisation non gouvernementale, a annoncé avoir démissionné.

Les autorités britanniques ont rapidement réagi et la secrétaire d’Etat au développement international, Penny Mordaunt devait s’entretenir lundi avec des responsables de l’ONG. Dans un entretien donné à la radio britannique, elle a estimé qu’Oxfam « avait échoué dans son positionnement de leader moral ». Mme Mordaunt a également déclaré qu’elle avait écrit aux autres organisations financées par son département pour les inciter à signaler tous problèmes similaires et a assuré que tous les cas seraient suivis de près.

Des agissements qui étaient connus

Le Times ajoute, dans un article publié lundi 12 février, que l’organisation était au courant des agissements des deux travailleurs humanitaires qui seraient à l’origine du scandale.

Le journal raconte que, selon un document interne qu’il a pu consulter, les cadres d’Oxfam au Royaume-Uni s’inquiétaient du comportement, à l’égard des femmes, de Roland van Hauwermeiren, l’un des travailleurs humanitaires mis en cause. Mais selon le Times cela n’a pas empêché l’ONG de lui donner le poste de directeur à Haïti.

« Le rapport confidentiel des investigations menées à Haïti explique que “le processus de recrutement a identifié des faiblesses dans son management” »

D’autres documents ayant fuité montrent également, selon le Times, que M. van Hauwermeiren a eu connaissances de plaintes contre la seconde personne mise en cause, de nationalité kényane, mais l’a autorisée à rester en poste.

« Un fléau actuel et futur »

Dans une tribune au quotidien numérique The Independent, de centre gauche, le travailleur humanitaire et avocat Andrew MacLeod estime que ces révélations « ne sont que la partie émergée de l’iceberg » : « Oxfam est loin d’être seul dans les accusations de harcèlement, de viols et de viols d’enfants. »

Selon M. MacLeod, l’aide humanitaire doit faire face au problème de la pédophilie dans ses rangs :

« L’ancien service national de renseignements criminels du Royaume-Uni, qui enregistrait et surveillait les activités des pédophiles, avait averti dès 1999 que l’ampleur du problème des pédophiles dans le monde de l’aide humanitaire était comparable à celle du tourisme sexuel. »

« Le problème n’est pas simplement un problème passé, mais un fléau actuel et futur qui pourrait menacer tout le milieu de l’aide au développement si on ne s’en occupe pas », énonce Andrew MacLeod, qui précise que Kofi Anan et Ban Ki Moon (deux anciens secrétaires généraux de l’ONU), avaient par le passé exprimé leurs regrets de ne pas avoir su mettre fin aux pratiques pédophiles.

« Plus important que l’affaire Weinstein »

La « Une » du « Daily Mail »  du 12 février 2018.

Le Daily Mail, conservateur et populaire, expose également assez largement l’idée d’une « partie émergée de l’iceberg » en « une » de son édition de lundi. Le tabloïd The Sun, va jusqu’à comparer le scandale Oxfam avec l’affaire Weinstein, titrant « Le scandale sexuel d’Oxfam est plus important que les affirmations d’abus sexuels de Weinstein à Hollywood ».

Le journal affirme que « tout comme les abus sexuels à Hollywood n’étaient pas remarqués avant Harvey Weinstein, l’indignation à propos de Haïti expose les organisations caritatives à l’examen minutieux qu’elles méritent depuis longtemps. »

Dans son édition du 12 février le Guardian estime que la situation de l’ONG pourrait devenir très difficile avec ce scandale. Une source interne à l’organisation, citée par le journal, explique qu’Oxfam devait, avant même la révélation de l’affaire, faire face à un « contexte de financement représentant un défi ». « Et la perte du financement de la part de l’Etat, l’année dernière, 34 millions de livres, est une vraie inquiétude », ajoute le journaliste.

La « Une » du « Guardian » le 12 février 2018.

« Pas une raison pour couper les aides »

Le quotidien rebondit également sur la proposition du député conservateur Jacob Rees-Mogg, qui a présenté, jeudi 8 février, au premier ministre, une pétition signée par plus de 100 000 personnes demandant des coupes dans le budget de l’aide au développement du Royaume-Uni. Le Guardian insiste sur le fait que l’affaire Oxfam « n’est pas une raison pour couper les aides au développement ».

Le « danger » qui guette, selon le quotidien britannique, c’est la fin du soutien au développement international :

« A l’ère de Trump, du Brexit et de Rees-Moggery, la notion selon laquelle les nations prospères ont une responsabilité morale et pratique envers les plus pauvres n’est plus à la mode. La droite populiste tend la main pour détruire le département pour le développement international, en les caricaturant comme payeurs de proxénètes et en pervers. Ceux qui croient en l’obligation persistante de la Grande-Bretagne à aider les désespérés du monde se battent aujourd’hui pour continuer à exister. »