Martin Fourcade, lundi 12 février 2018 après sa victoire dans l’épreuve de poursuite. / TOBY MELVILLE / REUTERS

Une heure après sa victoire dans la poursuite olympique, lundi 12 février, Martin Fourcade est revenu sur son succès dans le stade de biathlon de Pyeongchang. Succès qui le hisse au niveau de Jean-Claude Killy, de Tony Estanguet ou encore de Marie-José Pérec, tous triples champions olympiques en individuel. Un palier que le sportif avait moins en tête que ses erreurs de la veille sur le pas de tir lors de l’épreuve de sprint…

En remportant votre premier titre olympique à Pyeongchang, après votre huitième place au sprint dimanche, avez-vous corrigé une anomalie ?

Martin Fourcade : On ne peut pas le dire comme ça. C’est sûr que le fait de ne pas être sur le podium après le début de saison et la préparation que j’avais faite, c’était une énorme déception. J’avais coché cette course plus que toutes les autres. Quand je pensais à mes objectifs, je ne pensais pas aux Jeux olympiques, je pensais au sprint olympique. J’avais travaillé sur le tir, sur le ski, pour être prêt, et je l’étais.

Dimanche soir, j’ai mis beaucoup de temps à tourner la page, même si je dois dire qu’elle est encore froissée. Je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce que j’avais fait de mal. Ce matin, j’ai vu une photo de mon tir couché du sprint sur les réseaux sociaux. J’ai vu que les fanions étaient bien plus inclinés que ce que j’avais réellement perçu. En voyant cette photo, j’ai vu que ce n’était en aucun cas de la malchance ni quelque chose de surnaturel, c’était à cause de moi. Je n’avais pas fait les bons réglages.

Et à partir de ce moment-là, ça a été beaucoup plus facile de transformer cette peine, cette désillusion, cette colère, en énergie positive. C’est très masochiste comme démarche. Mais cette photo m’a fait prendre conscience que j’avais fait une erreur qui, aussi minime soit-elle, m’avait coûté le titre olympique. J’étais le seul à blâmer.

Comment expliquer cette capacité de réaction dont vous faites preuve après chaque échec ?

Déjà, faire une mauvaise course, ça arrive, mais deux, au vu de mon niveau, c’est plus compliqué. Mais ce n’est pas tout : il y a beaucoup de colère. C’est pour cela que dimanche soir je n’étais pas satisfait en me couchant : je n’arrivais pas à trouver cette colère. II faut que je sois en colère contre moi pour réagir.

Vous aviez besoin de ce premier or pour vous débloquer…

Ce titre va rendre la suite beaucoup plus facile. Ce sont des Jeux déjà réussis. Mais je suis compétiteur, dès que j’enfilerai le prochain dossard ce sera pour essayer de refaire ce que j’ai fait aujourd’hui. Je ne vais pas faire de pari car on est sur un site délicat. On va essayer de profiter de ça pour faire gonfler le compteur et là, je pense aux copains. Car s’il n’y a qu’une médaille à aller chercher maintenant, c’est celle du relais.

Martin Fourcade, après sa médaille d’or, lundi 12 février 2018. / MURAD SEZER / REUTERS

Que représente le fait d’égaler Jean-Claude Killy avec trois médailles d’or olympiques en individuel ?

C’est une joie énorme. On ne réalise pas tout de suite, on est content de sa course, on sait qu’on est champion olympique, mais quand le premier journaliste m’a dit ça, un grand sourire s’est affiché sur mon visage. Rejoindre Jean-Claude Killy, Tony Estanguet, pour moi qui suis un amoureux de sport, ça signifie beaucoup. Mais ce sont des époques différentes. Je ne me bats pas contre eux.

Quelle est la différence avec votre premier titre olympique, sur cette même poursuite, aux Jeux de Sotchi, en 2014 ?

Il y a quatre ans, je jouais ma vie pour devenir champion olympique, aujourd’hui j’étais déjà champion olympique. La manière d’aborder les Jeux est totalement différente. En termes de joie, c’est différent. L’émotion n’est pas moins forte, mais il y a quatre ans, c’était le bouchon de champagne qui sautait.

« La médaille en relais devient mon objectif prioritaire »

Vous allez aborder la suite plus détendu…

Oui, ce sera beaucoup plus simple. Mais je ne veux pas tomber dans un excès de relâchement : il y a quatre ans, j’avais payé mes titres en tombant malade sur la fin des Jeux, ce sont des erreurs que je vais essayer de ne pas refaire. J’ai encore des ambitions à titre individuel, j’ai de grosses ambitions avec l’équipe. La médaille en relais devient mon objectif prioritaire devant l’individuelle et la mass start.

Les gens s’attendaient à ce que vous soyez champion olympique. Que devez-vous faire désormais pour surprendre les Français ?

C’est vrai que j’ai reçu beaucoup de messages hier soir de la part de mes proches, d’anonymes, d’anciens grands champions, et tout le monde me disait : « C’est bon, demain elle est pour toi ! » Comme d’habitude, je suis le seul à ne pas y croire, parce que je suis le seul qui réalise sur la piste à quel point c’est difficile. On a l’impression que le tir, c’est un sport de gros qui fume des clopes. Mais finalement c’est un sport qui coûte une énergie folle.

C’est toute la différence entre une statistique et une image médiatique d’une part, et entre la réalité du terrain d’autre part. Je ne sais pas ce qu’il faudrait que je fasse, mais j’ai fait ce qui me comblait et c’est le plus important.

Il y avait peu de monde dans les tribunes…

C’est une compétition qui se court à 21 heures par − 15 °C : je connais beaucoup de passionnés de biathlon qui n’auraient pas mis le nez dehors ! Ce n’est pas le public qu’on peut avoir parfois en Europe, mais c’est aussi la magie des Jeux olympiques : il y a quatre ans, le biathlon était le sport roi à Sotchi ; aujourd’hui, on est dans un pays attiré par les sports de glace et les disciplines acrobatiques. Et en Europe, je comprends que tout le monde n’ait pas les moyens ni la possibilité de se libérer pour venir voir deux courses olympiques.