Le Startup palace, incubateur d' entreprises nantais. / Franck Dubray / PHOTOPQR/OUEST FRANCE/MAXPPP

« Don’t complain. Build » (« Ne te plains pas. Construis »). Dans cet espace soigneusement décoré, où ce slogan s’étale sur le mur tandis que des tables de ping-pong font office de bureaux, tout est fait pour rendre la vie du travailleur nomade plus confortable. Bienvenue au « Dojo », l’un des nombreux espaces de coworking nantais, où officie Damien Dumont. Ce trentenaire a quitté Paris et son métier de gestionnaire de patrimoine pour devenir responsable opérationnel du programme « Maia Mater », dispositif d’amorçage de start-up financé par les collectivités de Nantes et Saint-Nazaire.

Destiné prioritairement aux étudiants, il consiste en un programme intensif de quatre mois pour transformer une idée en modèle valorisable sur le marché. Dans ce « camp d’entraînement » entièrement gratuit, les étudiants sont nourris et logés à deux pas du centre-ville où ils bénéficient de séances de coaching, de mentorat mais aussi de détente (méditation, films…). « L’objectif, c’est de leur faire oublier les soucis du quotidien pour être dans les meilleures conditions pour innover », poursuit celui qui accueillera la prochaine promotion de Maia Mater du 22 mai au 22 septembre 2018.

Que sont devenus ceux de l’an dernier ? Sur la quinzaine de projets présentés, les huit restés en lice bénéficieront d’un mois d’accompagnement supplémentaire à Saint-Nazaire, en juillet prochain.

« Ici, ce n’est pas la course à la gloire, prévient Damien Dumont. Si le projet ne prend pas, il meurt. Réussir demande un énorme investissement personnel et une grande capacité à se remettre en cause. »

Pas donnée à tout le monde, la création d’une start-up ? Devant la prolifération de dispositifs d’accompagnement à Nantes depuis deux ans, on pourrait être tenté de penser le contraire. « Il fait bon être entrepreneur dans cette ville, confirme Raphaël Suire, professeur en économie numérique à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de l’université de Nantes. On trouve aujourd’hui une liste assez longue d’accélérateurs qui leur tendent les bras. Certains sont nés sur le territoire, d’autres sont venus de l’extérieur par effet de contagion. Cela entretient l’idée qu’à 25 ans, si on n’a pas créé de start-up, on a raté sa vie. Mais cet emballement ne risque-t-il pas de s’essouffler ? »

40 dispositifs d’accompagnement

Depuis sa labellisation comme « métropole French Tech » en 2014, les chiffres de l’écosystème numérique nantais sont plutôt flatteurs, avec 1 200 nouveaux emplois créés chaque année dans le secteur (22 000 au total) et des levées de fonds exponentielles pour les start-up (7 millions en 2014, contre 95 millions en 2017). Depuis cinq ans, pas moins de 40 nouveaux dispositifs d’accompagnement ont été recensés sur le territoire.

Outre les incubateurs des grandes écoles (IMT Atlantique, Alliance) ou l’incubateur régional d’Atlanpole et ses accélérateurs thématiques (Creative Factory, par exemple), de plus en plus d’acteurs se positionnent sur ce marché, d’ADN Booster à Village By CA ou Novapuls, le plus récent. « Il va falloir amener plus de lisibilité dans l’offre d’accompagnement, reconnaît Adrien Poggetti, délégué général de La Cantine numérique, association de référence de la Nantes Tech. D’autant qu’il existe, en plus, un grand nombre de consultants indépendants… »

Difficile, pour l’heure, de savoir si le marché va se consolider ou si tous les acteurs vont voir leur modèle économique fonctionner. Le réseau 1kubator, qui prévoit de se déployer dans dix villes en France, a fait le choix de prendre des parts dans les jeunes pousses (10 %). Son antenne nantaise, où il fait bon travailler, a ouvert en avril 2017 et suit une douzaine de projets sur dix mois.

« Changement sociétal profond »

« Si elle ferme, l’argent investi est perdu, résume sa directrice, Sandrine Charpentier. Certaines vont mourir, d’autres se muer en entreprise classique et quelques-unes seront des pépites qui vont rapidement industrialiser leur concept. » D’où une sélection drastique pour déceler ces sociétés « scalables » (susceptibles, littéralement, de « changer d’échelle » rapidement). Nantes compte aujourd’hui 250 start-up, et, sur la soixantaine qui se créent chaque année, seules de 10 % à 15 % sont viables.

Niché en hauteur dans le centre-ville, où trottinettes et canapés trônent dans les couloirs, le Startup Palace a pris une autre option. Il mise sur des prestations payantes assurées par une trentaine de spécialistes, allant de l’hébergement à l’accompagnement économique, technologique, financier… « C’est un choix initial de ne pas prendre de parts dans les start-up que nous accompagnons afin d’éviter les conflits d’intérêts », explique Antoine Dumont, délégué général de cette structure privée fondée en 2015, qui prévoit de déménager dans des locaux trois fois plus grands courant 2019.

Signe que l’essoufflement n’est pas pour demain ? « Nous sommes dans un changement sociétal profond où devenir salarié d’une boîte du CAC 40 ne fait plus rêver les jeunes diplômés, observe-t-il. La tendance à créer son propre business ne peut que se renforcer. D’autant que nous sommes dans une ville ouverte et bienveillante aux créateurs… »

« L’esprit nantais »

Celui qui a quitté San Francisco pour suivre sa femme à Nantes ne dira pas le contraire. Robert Spiro, 33 ans, entrepreneur à succès de la Silicon Valley – sa première entreprise, Aardvark, a été rachetée 50 millions d’euros par Google et sa seconde, Good Eggs, affiche 200 salariés – ne cesse de vanter « l’esprit nantais ». Il a lancé, avec nombre d’acteurs phares du numérique local (iAdvize, Lengow…), l’accélérateur Imagination Machine. « Il s’agit de faire venir des porteurs de projets de tous les pays à Nantes et d’inciter les start-up locales à se déployer à l’international », précise-t-il.

Ces derniers peuvent venir avec leur propre projet ou mettre en œuvre une idée issue du « studio », dont beaucoup proviennent de Rob Spiro lui-même. A l’image de la start-up Vite mon marché, inspirée par Good Eggs. « La livraison de produits locaux sera assurée en vingt minutes », s’enthousiasme celui qui cherche à soutenir des projets « porteurs de sens ». Un enjeu fort aux yeux d’Adrien Poggetti, qui souhaiterait que la « tech » prenne vraiment le tournant de l’utilité sociale.

Miser sur la « deep tech »

D’autres défis attendent l’écosystème numérique nantais. Le manque de financements à l’amorçage des projets peut ainsi faire perdre un temps précieux aux entrepreneurs. Pour Raphaël Suire, il faudrait davantage soutenir des projets technologiques à haute valeur ajoutée (la « deep tech ») plutôt que des services numériques très concurrentiels. « Créer une énième plate-forme de géolocalisation ne suffit pas », prévient-il, conviant les entrepreneurs à se tourner davantage vers l’intelligence artificielle, la réalité augmentée ou la blockchain (stockage et transmission de données sans organe de contrôle).

« Il ne faudrait pas que le terme start-up soit l’arbre qui cache la forêt de la création d’entreprises, notamment dans le champ industriel, ajoute Samuel Bachelot, conseiller innovation chez Atlanpole. Ces projets-là prennent un peu plus de temps à éclore, mais ils peuvent avoir un impact très fort sur le territoire. »

« L’objectif, ce n’est pas d’avoir des incubateurs mais des start-up qui créent des innovations et des emplois » Rob Spiro, cofondateur de l’accélérateur Imagine Machine.

Même Rob Spiro appelle à davantage de mesure autour de l’accompagnement des start-up. « L’objectif, ce n’est pas d’avoir des incubateurs mais des start-up qui créent des innovations et des emplois. Imagination Machine n’est qu’un préambule à de vraies histoires. » Comme le rappelle une note de l’Agence d’urbanisme de la région nantaise (Auran) consacrée à l’accélération du phénomène start-up, ces dernières ne représentent qu’une part mineure de la création d’entreprise et de l’emploi dans la métropole nantaise (respectivement +1 % et +0,7 % en 2016).

Participez à « O21 / S’orienter au 21e siècle »

Pour aider les 16-25 ans, leurs familles et les enseignants à se formuler les bonnes questions lors du choix des études supérieures, Le Monde organise la seconde saison d’« O21 / S’orienter au 21e siècle », avec cinq dates : après Nancy (1er- 2 décembre) et Lille (19 - 20 janvier), rendez-vous à Nantes (vendredi 16 et samedi 17 février 2018, à la Cité des congrès), avant Bordeaux ( vendredi 2 et samedi 3 mars 2018, au Rocher de Palmer à Cenon) et Paris (samedi 17 et dimanche 18 mars 2018, à la Cité des sciences et de l’industrie).

Dans chaque ville, les conférences permettent au public de bénéficier des analyses et des conseils, en vidéo, d’acteurs et d’experts, et d’écouter et d’échanger avec des acteurs locaux innovants : responsables d’établissements d’universités et de grandes écoles, chefs d’entreprises et de start-up, jeunes diplômés, etc. Des ateliers pratiques sont aussi organisés.

Il reste des places pour participer à O21 Nantes ! Et les inscriptions sont ouvertes pour O21 Bordeaux (Cenon) et les présinscriptions possibles pour O21 Paris.

En images : les temps forts d’O21, nos conférences pour s’orienter au 21e siècle, à Nancy

Pour inscrire un groupe de participants, merci d’envoyer un e-mail à education-O21@lemonde.fr. L’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les lycées peuvent organiser la venue de leurs élèves durant le temps scolaire.