Deux jours après le casse, une bouteille d’oxygène est retirée des égouts après le volà la Société générale, à Nice, le 20 juillet 1976. / AFP

Toujours fiché au grand banditisme malgré ses 74 ans, à la tête d’un petit empire de restaurants et de discothèques ayant pignon sur rue, ami des voyous et des notables, Jacques Cassandri, survivant du vieux milieu marseillais, a retrouvé, lundi 12 février, les bancs de la correctionnelle.

Loin des affaires de proxénétisme, de drogue et d’armes qui lui ont valu plusieurs années de prison, le patron de l’institution marseillaise Au son des Guitares, le club privé qui a fait sa notoriété, est jugé pour le blanchiment du butin du « casse du siècle », ce fric-frac dans plus de 300 coffres de la Société générale, en juillet 1976, à Nice, qui avait hissé Albert Spaggiari au panthéon des braqueurs. Jacques Cassandri est rattrapé, plus de quarante ans plus tard, pour ce que son avocat Me Frédéric Monneret nomme « un petit péché d’orgueil ».

En 2010, sous le pseudonyme vite éventé d’Amigo, Jacques Cassandri publie La Vérité sur le casse de Nice (Les Petits matins). Dans ce livre, il raconte comment après avoir percé un tunnel long de huit mètres, il avait, avec ses complices, dérobé 46 millions de francs, équivalant à 29 millions d’euros aujourd’hui.

En prenant la plume, il veut rétablir la vérité : les cerveaux, ce sont son ami « Le Gros » et lui-même, Spaggiari se voyant relégué au rang d’apporteur d’affaires auquel l’équipe des Marseillais avait volontiers abandonné la notoriété et la lumière. Jacques Cassandri s’attribue aussi la paternité du fameux « Ni armes ni violence et sans haine », tracé à la craie dans la salle des coffres.

Des détails jusqu’alors inconnus du grand public

En 2011, en garde à vue, face à un enquêteur qui le « rassure » sur la prescription de ce vol entré dans l’histoire, il avoue être un des « égoutiers » de Nice.

« Je suis un des auteurs principaux de cette affaire mais je suis hélas tenu de garder le silence en ce qui concerne les autres. Ma part a été à peu près, je dirais, 2 millions de francs. Je l’ai bouffée à une allure vertigineuse. »

Las ! Le vol est prescrit mais le blanchiment est une infraction continue que la justice peut poursuivre lorsqu’elle en a connaissance, même plusieurs décennies après. Lors de son procès, Jacques Cassandri devrait donc revenir sur cet aveu. « Son livre est un roman, indique Me Monneret. Il l’a écrit pour que les droits d’auteur soient versés à la veuve d’un ami », abattu en 1987. Et s’il évoque des détails jusqu’alors inconnus du grand public, c’est, dira-t-il, car il a eu copie du dossier judiciaire.

Une enquête patrimoniale a « révélé l’acquisition massive de biens immobiliers, outre les investissements dans des fonds de commerce totalement incompatibles avec les ressources déclarées ». Terrain et maison en Corse, une autre en Savoie, visons et bijoux, lingots d’or : « La fortune de Jacques Cassandri et de sa famille apparaît puiser son origine occulte dans le butin du casse de Nice », a conclu le juge d’instruction. Les biens immobiliers des membres de sa famille ont été saisis.

« C’est l’Abbé Pierre du milieu »

Les méthodes à l’ancienne de Jacques Cassandri dans la gestion des sociétés portées par ses proches leur valent d’être jugés pour des abus de biens sociaux et du travail dissimulé. Jacques Cassandri profitait d’une constellation d’entreprises pour fournir des promesses d’embauche à ses amis détenus en vue d’une libération conditionnelle. « Qu’est-ce que vous voulez, c’est l’Abbé Pierre du milieu », commente Me Monneret.

Un autre volet du dossier concerne une escroquerie présumée au préjudice d’un promoteur immobilier irlandais, lors du projet de construction à Conca (Corse-du-Sud) d’une résidence de tourisme. Par l’intermédiaire de la société Campemu a l’usu corsu (« on vit à la manière corse »), Jacques Cassandri avait, selon l’accusation, monnayé 1 million d’euros une mission d’assistance, garantissant « la protection du projet des éléments incontrôlables dans les milieux nationalistes et terroristes ». Les enquêteurs avaient envisagé une extorsion, démentie par le promoteur selon lequel il n’y a eu ni violence ni menace.

Parmi les treize prévenus, le maire de Conca, François-Antoine Mosconi, comparait pour trafic d’influence, mais il conteste avoir outrepassé ses fonctions pour favoriser ce projet. Cette opération a conduit à l’audition par les enquêteurs d’un conseiller de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant, secrétaire général de la présidence. Les enquêteurs avaient mis la main sur une lettre de M. Mosconi remerciant ce dernier de « l’étude des dossiers et de l’aide » apportée. Selon M. Guéant, « il n’y a eu évidemment aucune intervention de l’Elysée ». Le procès s’achèvera vendredi 16 février.