Stockholm (Suède) a été la cible d’une attaque au camion-bélier, le 7 avril 2017. / JONATHAN NACKSTRAND / AFP

Loup solitaire ou maillon d’une chaîne qui, malgré les défaites de l’organisation Etat islamique sur le terrain, parviendrait encore à commanditer des actes terroristes en Europe, par le bais d’une machine de propagande bien huilée et difficile à combattre ? Mardi 13 février s’ouvre à Stockholm le procès de Rakhmat Akilov, 40 ans, auteur de l’attaque au camion-bélier qui a fait cinq morts et une dizaine de blessés, au cœur de la capitale suédoise, le 7 avril 2017. Il devrait durer jusqu’au 9 mai.

Mais, d’ores et déjà, l’enquête préliminaire a établi que si ce Tadjik, ressortissant d’Ouzbékistan a agi seul, il a été en contact avec plusieurs individus se réclamant de l’EI, au terme de son processus de radicalisation, qui aurait débuté lors d’un séjour en Turquie en 2014. En Suède depuis quelques mois, il y rejoint sa femme, dont il est depuis séparé. Il affirme aussi avoir tenté de passer en Syrie, avant de renoncer, et de revenir en Suède, où il travaille sur divers chantiers.

Débouté du droit d’asile, les autorités lui avaient donné jusqu’au 1er janvier pour quitter le territoire. Pendant trois mois, il vit dans la clandestinité, dormant, assure-t-il aux enquêteurs, dans des bois, au sud-est de la capitale. Jusqu’au vendredi 7 avril, quand il se rend dans le centre de Stockholm et vole le camion d’un brasseur, qu’il lance à toute allure dans la rue piétonne Drottninggatan, avant de s’encastrer dans la vitrine d’un grand magasin. Il est arrêté quelques heures plus tard, au nord de la ville, la jambe brûlée par la bombe artisanale qu’il a tenté, en vain, de faire exploser.

L’attentat n’est pas revendiqué par l’organisation Etat islamique, faisant croire d’abord à la thèse du loup solitaire. Mais l’enquête démontre rapidement le contraire. Les services de renseignement suédois (Säpo) confirment, par ailleurs, que le nom du terroriste présumé est apparu sur leurs radars en août 2016. Ils auraient été contactés par des services étrangers. Faute d’éléments tangibles, ils ont refermé le dossier en janvier 2017.

« Ecraser des infidèles »

Selon l’enquête, c’est à la même époque qu’Akilov entre en relation avec plusieurs individus, revendiquant leur appartenance à l’organisation Etat islamique. Ils communiquent avec les applications Zello et Telegram, avant, pendant et après l’attaque. Le chercheur Michael Krona, spécialiste de la propagande islamiste à l’université de Malmö, a étudié le contenu des échanges : « Ce qui est intéressant, c’est l’intensité des contacts et le sentiment d’identification idéologique qu’ils ont suscité, le poussant à commettre un attentat au nom de l’organisation, tellement sa volonté de lui appartenir était forte. »

Avec l’aide d’un journaliste basé à Prague et spécialiste de l’Ouzbékistan, plusieurs médias suédois ont remonté la piste des contacts d’Akilov, les identifiant grâce aux alias trouvés dans le téléphone du terroriste présumé, identiques à ceux de plusieurs leaders tadjiks de l’EI. Parmi eux : Arsen Mukhazhirov, 30 ans, né au Daghestan, qui figure sur la liste des personnes les plus recherchées par Interpol. Le présentant comme son « conseiller », Akilov lui demande s’il peut « écraser des infidèles », une semaine avant l’attaque. « Bien sûr que tu peux », répond Mukhazhirov, usant du pseudonyme « Abu Fotima ».

« Plutôt que d’une cellule bien organisée, il s’agit d’un réseau assez lâche, qui n’a pas de liens très étroits avec la direction de l’EI, ce qui explique que l’organisation n’ait pas revendiqué l’attentat », explique Michael Krona. Sa capacité à mobiliser et à frapper le cœur de Stockholm montre cependant, remarque-t-il, que « la menace terroriste en Europe ne s’est pas atténuée avec le recul de l’EI sur le terrain, mais qu’elle s’intensifie au contraire, nourrie par le désir de vengeance ».

Akilov encourt la prison à vie. Aux enquêteurs, il a dit vouloir punir la Suède pour son « engagement aux côtés de l’OTAN » en Syrie et en Irak – et la participation d’« Ikea », qui aurait, selon sa théorie, financé les campagnes militaires contre l’EI, à hauteur de « 8 milliards de couronnes » (800 millions d’euros).