Editorial du « Monde ». Les raids israéliens du 10 février en Syrie, après l’intrusion d’un drone iranien dans l’espace aérien de l’Etat hébreu, puis la destruction d’un de ses F16, rappellent une fois encore qu’il n’y a pas une mais des guerres syriennes. La lutte contre l’organisation Etat islamique avait fait passer au second plan les autres conflits, qui se révèlent désormais dans toute leur évidence.

En témoignent l’offensive turque lancée il y a un mois contre l’enclave kurde syrienne d’Afrin ou, le 8 février, les bombardements américains contre l’armée de Bachar Al-Assad qui attaquait dans l’est les Forces démocratiques syriennes, à dominante kurde, soutenues par les Occidentaux. La confrontation du 10 février, premier affrontement direct entre l’Iran et Israël, n’en reste pas moins potentiellement la plus dangereuse par ses implications.

La crainte d’un second front

Les mises en garde du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, doivent être prises d’autant plus au sérieux que, ébranlé par les affaires, il ne veut montrer aucun signe de faiblesse. Il s’agit aussi pour l’Etat hébreu de rétablir la crédibilité de sa dissuasion aérienne après la perte d’un avion pour la première fois depuis trente-cinq ans, saluée par le régime syrien comme la « fin du mythe de la supériorité aérienne israélienne ». Aux yeux des autorités israéliennes, « l’enracinement » de l’Iran en Syrie représente un défi sécuritaire majeur. Tel-Aviv craint notamment l’ouverture d’un second front au nord en cas de conflit avec le Hezbollah libanais, proche du régime de Téhéran. Israël a, sans surprise, reçu le soutien de la Maison Blanche, inquiète de la montée en puissance régionale de l’Iran.

Depuis le début de la guerre en Syrie, l’aviation israélienne avait mené en toute impunité des dizaines de raids sur le territoire syrien, afin d’empêcher toute implantation pérenne de Téhéran et de ses alliés et de couper l’approvisionnement, notamment en missiles, du Hezbollah. Ces interventions avaient continué même après 2015 et l’intervention de l’armée russe, qui était avertie à l’avance des incursions aériennes israéliennes afin d’éviter tout incident.

Le rôle central de Poutine

Le choc suscité en Israël par la destruction du F16, abattu, selon Tel-Aviv, dans l’espace aérien israélien par un missile sol-air tiré depuis la Syrie, n’en a été que plus fort. Etait-ce l’initiative de militaires syriens ou iraniens voulant défier ouvertement Israël et mettant les militaires russes devant le fait accompli ? Cela montrerait que Vladimir Poutine est de moins en moins maître du jeu.

Le président russe est aujourd’hui le seul à pouvoir parler avec tous, et son pays se trouve ainsi jouer un rôle central que même l’URSS n’avait pas. Une telle responsabilité oblige. Moscou peine à transformer son succès militaire en réussite diplomatique comme le montre le fiasco, fin janvier, de la conférence de Sotchi, boycottée aussi bien par l’opposition syrienne que par les Kurdes.

La Russie a certes peu de moyens de pression sur un régime syrien convaincu de pouvoir remporter la guerre. Mais surtout, elle ne veut pas en avoir, continuant ainsi de le couvrir pour ses pires exactions. Le Kremlin bloque systématiquement au Conseil de sécurité de l’ONU toutes les enquêtes montrant que le régime continue d’utiliser des armes chimiques. Pour le moment, toutes les parties semblent surtout vouloir tester l’adversaire. Le risque de dérapages n’en est pas moins réel. Il suffit d’imaginer ce qui se serait passé si l’avion israélien abattu était tombé en territoire syrien, et si les pilotes avaient été capturés.