Ils ne sont, littéralement, qu’une poignée de Libériens soupçonnés de crimes de guerre à devoir rendre des comptes devant la justice. C’est peu au regard des atrocités commises durant les deux conflits civils (1989-1997 puis 1999-2003), durant lesquels l’ONU dénombra pas moins de 200 000 morts. Ouvert en 2006, le processus judiciaire semble pourtant s’accélérer. Lundi 12 février à Philadelphie, un nouveau dossier s’est ouvert.

Ce jour-là, Moses Thomas s’est vu remettre une plainte déposée contre lui pour son rôle présumé dans le massacre de l’église luthérienne Saint-Peter de Monrovia, le 29 juillet 1990 – l’une des pages les plus sombres de ces deux guerres libériennes. Cette nuit-là, en quelques heures, près de 600 civils désarmés – femmes, nourrissons, vieillards, autant que des hommes valides – furent massacrés dans ce lieu placé sous les auspices de la Croix-Rouge. Leur appartenance communautaire – Mano et Gio – les plaçant contre leur gré dans le camp des ennemis rebelles, ils furent découpés à la machette, fauchés par les balles des armes automatiques, achevés à l’arme blanche. Deux cent cinquante survivants furent ensuite achevés sur leur lit d’hôpital.

A l’époque, Moses Thomas, passé en 1986 en Israël pour une formation au contre-terrorisme et au combat rapproché, commandait l’Unité spéciale antiterroriste, la SATU. Ce sous-groupe de l’Executive Mansion Group Battalion (EMG), la garde personnelle du président Samuel Doe, est soupçonné d’innombrables exactions, notamment dans le Nimba, creuset de la rébellion de Charles Taylor. « Les nombreux témoignages recueillis ces dernières années sont formels. Ce sont les hommes de la SATU qui ont commis le massacre de l’église Saint-Peter. Des survivants ont identifié Moses Thomas sur les lieux le jour de la tuerie. Il n’y a aucun doute », affirme Hassan Bility, directeur de l’association libérienne Global Justice and Research Project (GJRP), spécialisée dans la traque des anciens criminels de guerre libériens.

Un coup de semonce

Depuis 2000, l’ex-colonel Thomas, né en 1957 au Liberia, coulait des jours tranquilles aux Etats-Unis. A son arrivée, il s’est appliqué à « dissimuler tous ses liens avec ses crimes commis au Liberia, y compris en s’enregistrant aux services de l’immigration dans le cadre d’un programme d’assistance aux victimes de ses propres crimes de guerre », peut-on lire dans la plainte rédigée par le Center for Justice and Accountability (CJA) au nom de quatre survivants plaignants.

Identifié par le GJRP comme le responsable du massacre, Moses Thomas a été localisé à Sharon Hill, dans la banlieue de Philadelphie, par des membres de la diaspora libérienne résidant sur la côte est des Etats-Unis. Sur les ondes de la radio de Philadelphie WHYY-FM, Moses Thomas a qualifié ces accusations de « non-sens, une stupidité ». « Je le prouverai devant la cour », a-t-il ajouté

La plainte est un sérieux coup de semonce pour Moses Thomas, mais pas encore un coup fatal. Elle se fonde sur deux actes juridiques, l’Alien Tort Statute et le Torture Victim Protection Act, qui n’ouvrent le droit, au civil, qu’à des dommages et intérêts. « En tant qu’ONG, nous ne pouvons pas demander de poursuites criminelles, cela relève du gouvernement américain », explique Nushin Sarkarati, avocate au CJA. « Dans le cas présent, les procureurs considèrent que des poursuites pénales ne sont pas possibles pour des questions techniques de prescription. A ce stade, la seule option pour les victimes, c’est de poursuivre avec une plainte civile. Cela expose aussi les lacunes de la législation en vigueur aux Etats-Unis », observe Alain Werner, directeur de Civis Maxima, partenaire de la CJA dans ce dossier.

Moses Thomas pourrait toutefois entrer dans le collimateur du FBI, comme Mohammed Jabbateh il y a peu. Il y a quatre mois, ce chef de guerre libérien connu sous le nom de « Jungle Jabbah » a ainsi été reconnu coupable de fraude aux lois sur l’immigration pour avoir caché ses antécédents de milicien à son entrée aux Etats-Unis. D’anciennes victimes étaient venues témoigner, devant une cour de Philadelphie, déjà, de son extrême cruauté. Il risque jusqu’à trente ans de prison. Sa peine, après délibération, doit être prononcée dans les prochains jours. Moses Thomas risque de subir les mêmes ennuis judiciaires.

Lettre à George Weah

Trois personnes ont déjà été condamnées, dont, en 2008, Chuckie Taylor, le fils de l’ancien président et chef de guerre Charles Taylor. En 2018, quatre autres dossiers devraient avancer. Tom Woewiyu, ancien ministre de la défense de la rébellion de Taylor, le NPFL, est poursuivi pour fraude à l’immigration aux Etats-Unis. Martina Johnson, ex-commandante dans le même groupe, doit répondre en Belgique de crimes de guerre au nom de la compétence universelle. De même qu’Alieu Kosiah, arrêté en Suisse. Enfin, des accusations de torture ont été retenues au Royaume-Uni contre Agnees Reeves Taylor, ex-femme de Charles Taylor.

Et au Liberia, à quand le premier procès ? Des organisations de défense des droits humains ont adressé une lettre au nouveau président, George Weah, le jour de son investiture, le 21 janvier, le priant d’offrir aux victimes « la justice qu’ils méritent ». Si tel est son souhait, l’ancien footballeur devra convaincre sa propre vice-présidente, Jewel Howard-Taylor, élue sur le même ticket que lui. En 2012, après la condamnation de son ex-mari, Charles Taylor, pour des atrocités commises par ses troupes en Sierra Leone voisine, elle déclarait à l’hebdomadaire Newsweek que des procès au Liberia « ne feraient que déchirer la population ». Six ans plus tard, elle n’a pas dévié. Dans un article de l’hebdomadaire Jeune Afrique du 11 février, elle soutenait encore que « la justice n’est pas une priorité ».