Pour les organisations d’aide au développement britanniques et leurs nombreux donateurs, le coup est rude. Une enquête du quotidien The Times, jeudi 8 février, a révélé que certains collaborateurs d’Oxfam, l’une des plus importantes organisations non gouvernementales (ONG) mondiales de lutte contre la pauvreté, ont eu recours à des prostituées locales alors qu’ils étaient en mission à Haïti après le tremblement de terre de 2010. Depuis lors, le scandale fait tache d’huile, permettant aux tabloïds et à l’aile droite du Parti conservateur de dénoncer la relative largesse du budget britannique de l’aide au développement.

Lundi, un porte-parole du gouvernement a fait savoir que la première ministre, Theresa May, ne remettrait pas en cause la promesse de consacrer 0,7 % du revenu national à l’aide internationale. Ce pourcentage a été inscrit dans la loi par la majorité conservatrice. Depuis 2010, il est utilisé pour convaincre les électeurs modérés que les tories « ont un cœur », mais il fait l’objet de critiques récurrentes. Au lendemain des révélations du Times, Jacob Rees-Mogg, le député leader de l’aile droite du parti a posé, tout sourire, devant le 10 Downing Street, où il était venu porter les 100 000 signatures rassemblées par le quotidien europhobe Daily Express demandant de « stopper la folie de l’aide à l’étranger ».

Lundi, Penny Lawrence, directrice générale adjointe d’Oxfam, a démissionné en exprimant sa « tristesse » et sa « honte » à propos d’accusations relatives à « la conduite d’employés au Tchad et à Haïti (…) impliquant le recours à des prostituées » et en assurant en « assumer l’entière responsabilité ». Oxfam, acronyme d’Oxford Committee for Famine Relief, a été créé en 1942 par un groupe de quakers, de militants et d’enseignants de la ville universitaire pour agir contre la famine provoquée par le blocus anglais contre l’occupation nazie de la Grèce. C’est aujourd’hui une puissante confédération d’ONG présentes dans de nombreux pays, dont la France depuis 1988.

« De la viande fraîche »

Selon le Times, deux maisons louées par Oxfam pour abriter ses travailleurs humanitaires en Haïti ont servi de cadre à des « orgies » avec des prostituées. A Delmas, près de la capitale, Port-au-Prince, dans une villa surnommée « le lupanar » des témoins affirment avoir vu cinq femmes dont deux portaient des t-shirts blancs frappés du logo d’Oxfam, participer à ce que des employés de l’ONG nommaient des « barbecues avec de la viande fraîche ». Selon le quotidien, ces derniers contrôlaient l’équipe de chauffeurs de l’organisation, les menaçant de ne pas renouveler leur contrat s’ils ne les approvisionnaient pas en filles. Quant à Roland van Hauwermeiren, l’ancien militaire belge qui dirigeait Oxfam en Haïti, il recevait lui aussi des prostituées dans sa villa, « le Nid d’aigle », elle aussi louée par l’ONG.

Une enquête interne a abouti à sa discrète démission, « un départ digne » destiné à éviter le scandale. L’organisation aurait omis d’avertir son employeur suivant, l’ONG française Action contre la faim, des antécédents de M. van Hauwermeiren. L’enquête interne a aussi montré qu’Oxfam avait fermé les yeux sur « son comportement envers les femmes » pendant qu’il travaillait auparavant au Tchad. Et qu’il aurait laissé en poste un autre employé d’Oxfam, de nationalité kényane, en dépit de plaintes de collègues féminines pour « harcèlement sexuel ».

A Haïti, la prostitution est illégale mais répandue, et Oxfam est signataire d’un texte de l’ONU prohibant le sexe tarifé chez les humanitaires. Deux employés de l’ONG ont, pourtant, été amenés à démissionner en 2011 pour recours à des prostituées, harcèlement et fraude sur CV ; quatre autres ont été limogés pour « recours à des prostitués dans une installation d’Oxfam », défaut de protection du personnel et possession de matériau pornographique. L’ONG allègue qu’elle avait renoncé à des poursuites judiciaires étant donné le chaos régnant localement, qui ne laissait espérer aucune sanction.

« La partie visible de l’iceberg »

Lundi, Penny Mordaunt, secrétaire d’Etat au développement international, a rencontré les responsables de l’ONG, les menaçant de stopper les subventions du gouvernement — 31,7 millions de livres, soit 35,7 millions d’euros l’an dernier — s’ils ne lui transmettaient pas toutes les informations relatives à cette affaire. Oxfam, qui emploie plus de 3 000 salariés et 30 000 bénévoles dans 70 pays, perçoit en outre plus de 100 millions de livres (112,5 millions d’euros) de dons du public et 90 millions de livres (101 millions d’euros) de ses activités commerciales, en particulier ses « boutiques caritatives ». La Commission européenne menace, elle aussi, de lui couper les vivres. De son côté, la Commission caritative, chargée de contrôler les organisations humanitaires au Royaume-Uni, a affirmé que l’ONG ne lui avait pas rapporté ces abus.

Le scandale, alimenté par les arrière-pensées politiques, ne fait sans doute que commencer au Royaume-Uni. L’ancienne secrétaire d’Etat au développement Priti Patel, limogée en novembre par Theresa May pour avoir caché au Foreign Office ses rencontres avec des officiels israéliens, a mis de l’huile sur le feu, dimanche, en affirmant que 120 travailleurs humanitaires employés non seulement par Oxfam mais par Save the Children, Christian Aid et la Croix-Rouge britannique avaient été signalés par leur employeur pour des abus sexuels pendant la seule année passée. En mal de publicité, Mme Patel, assure que des « prédateurs pédophiles » se sont infiltrés dans le secteur de l’aide au développement et que l’affaire de Haïti n’est que « la partie visible de l’iceberg ».