La ministre de la culture, Françoise Nyssen, devait recevoir les éditeurs de presse mardi 13 février au ministère. / ERIC FEFERBERG / AFP

La presse écrite vit une situation paradoxale en ce début d’année. Des titres fleurissent, qui témoignent de la vitalité du secteur : après l’Ebdo et Vraiment, un nouvel hebdomadaire, est attendu dans les kiosques le 21 mars. Mais, dans le même temps, le secteur de la distribution souffre. Son principal pilier, Presstalis, qui diffuse 4 000 titres – dont la presse nationale et les trois quarts des magazines – dans 25 000 points de vente, est au bord du gouffre. Il risque la cessation de paiement.

C’est le moment qu’a choisi la ministre de la culture, Françoise Nyssen, pour inviter les éditeurs de presse mardi 13 février au ministère. Elle devait évoquer à cette occasion son intention de lancer dès cette semaine une réforme « très profonde » des règles du jeu de la distribution de la presse en France. Le sujet est sensible, car il s’agit de toucher à la loi Bichet, qui depuis la Libération garantit le pluralisme en permettant la diffusion, par les kiosques ou autres marchands de presse, de tous les journaux sur le territoire.

A court terme, il y a urgence : lundi, la nouvelle PDG de Presstalis, Michèle Benbunan, a présenté un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) aux syndicats, qui pourrait entraîner la suppression du quart de ses effectifs (entre 200 et 300 personnes sur 1 200). « Ces mesures sont nécessaires pour un retour à l’équilibre de Presstalis fin 2019 », a-t-elle expliqué aux Echos dans un entretien publié le 7 février.

Réforme structurelle du secteur

Début décembre 2017, pour faire face à un besoin de trésorerie de 37 millions d’euros, le distributeur, confronté à la fois à la baisse de la vente au numéro et victime de mauvais choix stratégiques passés, a annoncé à ses clients qu’il retenait un quart des règlements qu’il aurait dû leur verser jusqu’à fin janvier. Ce qui a provoqué un tollé parmi les petits éditeurs. Un mandataire ad hoc a même été nommé par le tribunal de commerce pour accompagner l’entreprise dans ce moment délicat. Plus récemment, il a été proposé aux éditeurs de reverser 2,25 % de leurs recettes jusqu’en juin 2022.

Mais, pour le ministère de la culture, un nouveau sauvetage doit s’accompagner d’une réforme structurelle du secteur. La loi Bichet a, selon le gouvernement, accouché d’un système extrêmement contraignant et totalement inadapté. « Elle n’est pas faite pour un marché comme celui d’aujourd’hui : le nombre d’exemplaires a baissé de moitié en dix ans », souligne-t-on au ministère, où l’on évoque l’archaïsme d’une « loi d’économie administrée ».

En 2012, Presstalis avait déjà échappé à la faillite grâce à l’engagement des éditeurs de presse, qui sont également ses actionnaires dans le cadre d’un système de coopératives, et de l’Etat. Le distributeur avait déjà réduit de moitié ses effectifs.

La mécanique est complexe : elle réunit trois niveaux, celui des messageries, chargées de diffuser les journaux – Presstalis et son concurrent, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) –, celui des dépôts tissant le territoire – détenus à la fois par Presstalis et les MLP –, et celui des points de vente (kiosques et marchands de presse…). Agir seulement sur l’un d’entre eux ne permettra pas de réels changements, juge-t-on Rue de Valois. D’où l’idée de lancer une vaste négociation et de la confier à Marc Schwartz, ancien directeur de cabinet de Mme Nyssen. Tous les acteurs de la filière seront entendus avec l’objectif qu’une loi puisse être présentée avant l’été.

Une rupture avec le principe d’égalité

« Tout doit être ouvert », explique-t-on au ministère de la culture, tout en se gardant de rentrer dans les détails. Mme Benbunan a déjà avancé ses propositions, en souhaitant qu’il y ait davantage de points de vente et qu’ils aient « plus de liberté dans le choix des titres qu’ils souhaitent exposer sur leurs linéaires », bref qu’ils puissent « adapter leur offre presse à leur clientèle ». Donc de ne pas être obligé de proposer tous les titres… Une rupture avec le principe d’égalité imposé dans la foulée de la loi Bichet.

Un collectif d’éditeurs indépendants, qui publient des magazines comme So Foot, Le 1, Alternatives économiques, Philosophie magazine, dénonce, lui, le manque de transparence, et propose, au niveau des messageries, une « concurrence plus ouverte » avec l’arrivée d’autres acteurs que MLP et Presstalis. « Le système bâti après la Libération pour diffuser la presse quotidienne n’est plus adapté, il faut en trouver un qui fonctionne », explique au Monde l’un des signataires, Franck Annese, fondateur de So Press (Society, So Film, So Foot…).

Rien n’est cependant acquis, car les négociations entre les éditeurs de presse et le gouvernement se déroulent dans un climat très tendu. D’ailleurs, les réformes envisagées dans le passé n’ont jamais abouti à de grands changements. Dans l’immédiat, Presstalis doit trouver 140 millions d’euros, dont 50 millions pour la restructuration. L’Etat est certes prêt à avancer une part de la somme mais uniquement sous la forme d’un prêt pour éviter les foudres de Bruxelles. Et il réclame des garanties aux éditeurs de presse. Ces derniers rechignent. Jusqu’où sont-ils prêts à s’engager ? C’est tout l’enjeu des discussions.