Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, le 9 février à  Paris. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

A « J – 1 » de l’annonce, en conseil des ministres le 14 février, de ce que sera l’architecture du nouveau bac, une question traverse la communauté éducative : cette réforme dont l’Elysée a fixé les grandes lignes – quatre épreuves terminales, plus de contrôle continu – peut-elle être menée sans remettre en jeu, de fond en comble, le lycée ?

Les représentants syndicaux défilaient encore, lundi 12 février, au ministère de l’éducation. Certains ont même eu droit à deux entrevues avec Jean-Michel Blanquer, au fil de la concertation de trois semaines qu’il a menée au pas de course. « D’un interlocuteur à l’autre, les scénarios de la réforme semblent encore pouvoir évoluer », confiait un dirigeant syndical, lundi soir. C’est à se demander si le flou qui domine n’est pas volontaire. »

Fini les séries, ont appris les syndicats reçus rue de Grenelle lundi : celles-ci seraient remplacées par un « tronc commun » de seize heures d’enseignement hebdomadaires comprenant français, philosophie, histoire-géo, deux langues vivantes et l’éducation physique et sportive (EPS). Pas de maths, pas de sciences de la vie et de la Terre (SVT), pas de physique-chimie en tant que telles, mais un nouvel enseignement d’« humanités numériques et scientifiques », inclus dans le tronc commun en classe de première comme de terminale (deux heures hebdomadaires). « De quoi développer une culture scientifique commune à tous », a-t-on expliqué aux syndicats. « Mais avec quels programmes ? Quels enseignants ? », s’interrogent ceux-ci.

Parcours de spécialisation

Viendraient s’y adosser des enseignements dits de « spécialités » – expression préférée à celles de « majeures » –, suivis à raison de douze heures par semaine. Les lycéens en choisiraient trois en première (quatre heures chacun), puis deux en terminale (six heures). Ils s’inscriraient ainsi dans un parcours de spécialisation, mais à partir de la première – comme aujourd’hui – et pas dès la seconde, comme le préconisait le rapport sur le nouveau bac remis par l’universitaire Pierre Mathiot le 24 janvier.

A charge pour les élèves de faire leur choix parmi huit spécialités : maths, physique-chimie, SVT, sciences économiques et sociales, arts, mais aussi « littérature et philosophie », « histoire-géographie et géopolitique », « langue et littérature étrangère ». Peut-être même neuf, si la spécialité « codage et algorithmique » est retenue. 

Avec l’oral dit « de maturité » et l’épreuve commune de philosophie, présentés en juin, ces épreuves finales pèseraient pour 60 % de la note globale

Sur les combinaisons de spécialités permises en terminale, qui inquiètent tant les associations d’enseignants, peu de précisions pour l’heure. « Sept couples ou assemblages seraient possibles dans tous les lycées, rapporte une syndicaliste. Un huitième pourrait être introduit dans chacun à l’initiative locale, et peut-être même un neuvième dans les lycées défavorisés. »

C’est sur ces spécialités que porteront deux des épreuves terminales du « bac 2021 » – celles passées au printemps pour peser dans l’orientation vers l’enseignement supérieur. Avec l’oral dit « de maturité » (expression préférée à celle de « grand oral ») et l’épreuve commune de philosophie, présentés en juin, ces épreuves finales pèseraient pour 60 % de la note globale (épreuve anticipée de français comprise). Les 40 % restants relèveraient du contrôle continu, selon des modalités qui restent à arbitrer. Trois ou quatre partiels, adossés – ou non – à l’examen des bulletins : c’est entre ces deux pistes que le ministère hésiterait.

Loin du scénario acté ces derniers jours

La réforme qui se dessine ne revient-elle pas à ressusciter les séries sous une autre forme ?, s’interrogent déjà des enseignants. Elle s’éloigne en tout cas du scénario qui semblait quasi acté ces derniers jours, prévoyant la fusion des générales actuelles (L, S et ES) en un pôle scientifique et un pôle lettres-humanités-société. Du « big-bang » préconisé par Pierre Mathiot, M. Blanquer retiendrait bien la logique, en permettant aux élèves de choisir parmi des combinaisons de matières. Mais pas de semestrialisation des emplois du temps des lycéens ; pas non plus d’annualisation du service des enseignants qui en aurait découlé.

C’est une « version allégée du lycée modulaire » (ou du « lycée à la carte ») qui s’annonce, estiment les organisations syndicales – « une forme de compromis dont on peine encore à voir les implications », observe Claire Guéville, du SNES-FSU, dernier syndicat reçu le 12 février. Les élèves ne devraient pas pouvoir changer de discipline d’un semestre à l’autre, et il ne semble pas acquis qu’ils puissent en changer d’une année sur l’autre.

Reste que le gouvernement semble bien vouloir embrasser les deux réformes de concert – bac et lycée –, quand bon nombre de commentateurs prédisaient qu’il ne s’attellerait au chantier du lycée qu’à la marge (en se contentant d’une réécriture des programmes, ce qui est également prévu, en parallèle).

On disait les options du bac « ancienne formule » trop nombreuses. Dans le scénario qui se dessine, elles seraient des « enseignements facultatifs » évalués en contrôle continu. Au choix, le latin-grec, l’EPS et la langue vivante 3, mais aussi des « mathématiques expertes », des « maths complémentaires », des « sciences politiques » et du « droit et (des) grands enjeux du monde contemporain » (enseignement de spécialité jusqu’à présent proposé en L). Une pourrait être choisie en première, une autre en terminale, croit savoir le SNES.

Les porte-parole syndicaux se sont vus invités à réfléchir à un nouveau nom pour la terminale, « pour mettre en évidence que cette dernière classe du lycée n’est pas une fin », précise Philippe Tournier, du SNPDEN-UNSA. Et, symboliquement, inscrire la réforme dans ce « continuum du bac 3, bac + 3 », comme disent les spécialistes, qui reste pour l’heure encore théorique.