L’excitation autour de la sortie, mercredi 14 février, de Black Panther, de Ryan Coogler, le nouveau film de superhéros Marvel, est palpable. Et pour cause : les premières critiques sont enthousiastes certes, mais cela fait surtout vingt ans, depuis le grand succès de Blade, de Stephen Norrington, que l’on n’avait pas vu de superhéros noir de comic book prendre la tête d’affiche au cinéma.

A bien des égards, la Panthère noire est importante : pour l’évolution de la stratégie éditoriale de Marvel qu’elle représente, mais aussi parce que Black Panther est le premier personnage non seulement noir, mais africain, à apparaître dans le Panthéon des superhéros populaires.

BLACK PANTHER Bande Annonce VF (2018)
Durée : 01:54

Né pendant la lutte pour les droits civiques

T’Challa de son vrai nom est le roi du Wakanda, un royaume fictionnel et caché d’Afrique. Ce pays qui n’a pas souffert de la colonisation est parmi les plus prospères et avancés scientifiquement du monde grâce à une ressource naturelle : le vibranium. A la fois stratège politique, scientifique brillant et combattant redoutable, Black Panther se hisse parmi les héros les plus forts de la galerie Marvel. Il est capable de battre Captain America et rejoint les équipes de superhéros les plus prestigieuses, des X-Men aux Avengers. Au fil de ses aventures, il devra retrouver l’assassin de son père, protéger son pays des invasions extérieures qui convoitent le vibranium, mais aussi faire face à des rébellions nationales.

En dessin, la Panthère prend vie en juillet 1966, en plein cœur de la lutte pour les droits civiques, la même année que la consécration du terme black power dans le discours de Stokely Carmichael. Ses créateurs, les poids lourds du comics Stan Lee et Jack Kirby, le font apparaître dans la série ultra-populaire des Quatre fantastiques. Son succès est immédiat : il aura donc droit quelques années plus tard à sa propre série.

Black Panther par Jack Kirby. / Marvel Comics

Il est toutefois hasardeux de prêter des intentions politiques aux deux auteurs dans la création de Black Panther. « A l’époque, Marvel ne fait pas de BD engagée et par prudence ne fait pas de commentaire social dans ses strips, souligne Nicolas Labarre, maître de conférence en civilisation américaine à l’université Bordeaux-Montaigne. Même si, par exemple, a posteriori, la création des X-Men en 1963 a été décrite comme une métaphore des droits civiques. »

Dans sa ligne éditoriale de l’époque, le « Bullpen » – surnom donné à la rédaction de Marvel – cherche à conquérir plus de lecteurs, sans froisser son noyau de fidèles, composé en partie de conservateurs, en se montrant progressiste sans être radical. « J’en suis venu à la Panthère noire parce que je me suis rendu compte que je n’avais pas de Noirs dans mes planches. Je n’avais jamais dessiné un Noir [alors que] j’avais soudainement découvert que j’avais beaucoup de lecteurs noirs », expliquera dans des interviews le dessinateur Jack Kirby.

En plaçant l’intrigue de Black Panther dans un pays africain utopique et lointain, les auteurs s’épargnent tout commentaire politique de leur société et de la communauté noire de New York, ville des principales intrigues de Marvel. Ce n’est qu’à partir de 1969, que débarqueront ensuite des superhéros afro-américains, comme le Faucon, Tornade ou Luke Cage.

Toujours par souci de consensualité, la Panthère noire est rebaptisée temporairement, quelques mois après sa naissance, Léopard noir… Pour éviter d’être associée au tout jeune mouvement révolutionnaire du Black Panther Party, dont le nom n’est pas lié à celui du superhéros.

« Black Panther permet de se forger une estime »

L’impact de ce personnage est depuis considérable. « Black Panther montre qu’un Noir peut-être un superhéros, sauver des vies, évoluer dans un monde imaginaire, mais aussi peut être acteur du changement. L’univers de ce héros permet à des gens qui sont sous-représentés dans la culture de s’identifier, de se forger une estime », détaille Anna Tjé, cofondatrice de la revue en ligne littéraire et artistique Atayé et, par ailleurs, membre de l’association Diveka qui œuvre pour plus de diversité et représentations positives dans le monde de la jeunesse.

Pour Jonathan Gayles, docteur en études afro-américaines et auteur du documentaire White Scripts and Black Supermen : Black Masculinities in Comic Books (Scénarios blancs et superhéros noirs : les masculinités noires dans les comics), « le travail fait actuellement [dans les comics] avec la Panthère noire est excellent », là où il a pu être offensant avec la représentation d’autres superhéros Marvel, par exemple Luke Cage. « C’est un voyou de rue. Ses pouvoirs ne proviennent pas d’une intervention surnaturelle, mais d’une expérience en prison. C’est un héros qui loue ses services. Sa principale juridiction est Harlem — un Harlem qui n’est représenté que négativement », explique le professeur au Huffington Post.

Black Panther par Christopher Priest et Mark Texeira. / Marvel Comics

Dans les années 1990, après une période d’expansion démesurée, le marché du comics s’effondre. Pour redresser la barre, Marvel fait appel à certains auteurs pour qu’ils retravaillent certains superhéros de manière plus adulte, plus ancrée dans le XXIe siècle qui s’annonce. C’est ainsi qu’en 1998 la maison d’édition confie Black Panther à Christopher Priest.

Cet enfant du Queens est l’un des premiers auteurs afro-américains à travailler à temps plein sur des franchises populaires de superhéros à partir des années 1980. Avec d’autres comme le scénariste Dwayne McDuffie, ils vont contribuer à « l’Age noir du comics », nom donné aux initiatives au sein de l’édition de bande dessinée visant à mettre en avant le travail d’artistes noirs dans cet univers majoritairement blanc. Une période-clé, selon Anna Tjé :

« Les années 1990 sont, de façon générale, une période charnière pour la représentation des afrodescendants dans la culture américaine, avec des œuvres piliers de cette culture. C’est à cette époque, par exemple, qu’il y a le plus de séries télévisées qui représentent des familles afro-américaines, qui revalorisent l’image qu’on se faisait d’elles. »

Un nouvel écho avec le mouvement Black Lives Matter

Bien que le nom de Christopher Priest soit souvent relégué, son apport à la série Black Panther est conséquent et influence, en partie, la réalisation du film. Le scénariste apporte de la profondeur à T’Challa, le pare des habits et tourments du roi, lui donne une importance qui va au-delà du simple vengeur costumé. C’est également lui qui introduit les Dora Milaje, la garde rapprochée du souverain composée de guerrières et stratèges, des héroïnes de premier plan dans la série.

Les Dora Milaje, des guerrières de premier plan qui protègent le roi du Wakanda. / Matt Kennedy / AP

Dans l’Amérique du mouvement Black Lives Matter (né pour dénoncer les violences policières contre les Noirs) et post-Obama, à l’heure où les questions de whitewashing et d’appropriation culturelle aux Etats-Unis retentissent de plus en plus sur les réseaux sociaux, certaines industries rompues à ces pratiques discriminatoires anticipent désormais pour désamorcer toute critique éventuelle. Et fournissent de fait plus d’efforts en termes de représentation des minorités ; quitte à faire appel à des représentants conscientisés et politisés de ces communautés.

C’est ainsi que Marvel-Disney a confié la réalisation et l’interprétation du blockbuster Black Panther à une équipe majoritairement afrodescendante. Ce qui se voit à l’écran, avance Anna Tjé :

« De ce qu’on a pu en voir avant la sortie du film, “Black Panther” valorise la diversité des cultures africaines. Il y a des références à différents pays mais aussi différents looks africains, différents héritages, si bien que j’ai la sensation que différentes personnes, par exemple caribéennes, africaines ou françaises pourraient s’y identifier. »

De même, quelques mois avant la sortie du film, la rédaction de nouvelles histoires de la Panthère a été confiée à l’écrivain Ta-Nehisi Coates, auteur du best-seller Une colère noire, lettre à mon fils (Autrement, 2016), mais aussi à la romancière de science-fiction Nnedi Okorafor.

Des opérations couronnées de succès : le premier numéro des aventures de Black Panther par Ta-Nehisi Coates s’est écoulé à 330 000 exemplaires, un chiffre exceptionnel sur le marché du comics. Le film semble prendre la voie du même succès si l’on en croit les estimations des préventes aux Etats-Unis. Et Anna Tjé d’espérer : « A titre personnel, un film comme Black Panther arrive tard pour moi, mais il n’est finalement jamais trop tard. Il va être précurseur et ouvrir la voie à d’autres. »