L’avis du « Monde » – à voir

Phong, jeune Vietnamien devenu étranger à son corps d’homme, entreprend de devenir une femme, réalité plus accordée à l’image qu’il se fait de lui-même, à son désir profond. Tran Phuong Thao et Swann Dubus, tandem franco-vietnamien de réalisateurs, installés et travaillant au Vietnam, saisissent la balle au bond et entreprennent de documenter ce processus, délicat s’il en est. Le film, outre qu’il remplit sa fonction d’ouverture pédagogique aux phénomènes les plus divers du vaste monde, porte témoignage d’une approche sensible et pénétrante, très éloignée du sensationnalisme ou de la complaisance qu’un tel sujet pourrait occasionner.

La belle idée des réalisateurs aura consisté à prêter, en un premier temps, une caméra à Phong, pour lui permettre d’exprimer sans intermédiaire son malaise et son désir, et aussi, sans doute, pour mieux le connaître. A la suite de quoi les réalisateurs l’ont eux-mêmes filmé. Finding Phong commence donc à la manière d’un journal intime, puis se poursuit à la manière d’un documentaire plus classique.

En prêtant une caméra à Phong, les réalisateurs lui ont permis d’exprimer sans intermédiaire son malaise et son désir

Le film monté a conservé la trace de cette méthode, qui se révèle riche de sens. La première partie ressemble à un mélodrame. Phong, jeune homme exubérant et torturé, possible personnage d’un film imaginaire dont il serait la douloureuse victime, y filme d’une manière presque gênante son mal-être.

Toujours en gros plan, il pleure abondamment face à la caméra, expose avec force mouvements de déploration sa souffrance, s’adresse continûment à sa mère, interlocutrice de prédilection de son marasme mental. Ce faisant, Phong réinvestit sans doute une forme d’expression populaire (le cinéma, le mélo) qui lui permet de rendre concevable et possible, ne serait-ce que vis-à-vis de lui-même, le passage à l’acte radical – tout à la fois déni de filiation et réinvention de l’identité – qu’il s’apprête à commettre.

Excentricité douloureuse

Son voyage en Thaïlande pour étudier les modalités d’une opération considérée dans ce pays comme techniquement et moralement usuelle sert de pivot dans la narration et le registre du récit. Comme si, plus l’intervention devenait concevable, plus Phong se rapprochait dans la réalité de l’image intérieure qu’il se faisait de lui-même, plus le film pouvait s’éloigner du point de vue subjectif et de l’excentricité douloureuse par laquelle il se manifestait, plus le spectateur enfin était confronté au trouble du changement à vue (prise d’hormones, maquillage…) que le film se met dès lors à enregistrer. La caméra changeant de main, le champ, dès lors, s’élargit et s’apaise, dialectise une problématique qui ne cesse pour autant d’être complexe, mais face à laquelle la famille, et plus largement la société, serait enfin conviée à figurer dans le cadre.

A cet égard, les échanges filmés avec les proches, la manière dont les membres de ladite famille se positionnent à l’égard du désir de Phong et l’accompagnent dans sa démarche (angoisse de la mère, zénitude absolue du père, vieux soldat passé par tous les maux de la vie, trouble profond du frère, empathie de la sœur) sont non seulement passionnants, mais témoignent, puisque aussi bien chacun y perdra un fils et un frère, d’une bienveillance aussi désarmante qu’émouvante.

Documentaire vietnamien de Tran Phuong Thao et Swann Dubus (1 h 30). Sur le Web : jhrfilms.com/finding-phong