Shaun White vient de remporter son troisième titre olympique, mercredi 14 février à Pyeongchang. Gregory Bull / AP / Gregory Bull / AP

Shaun White voulait absolument être le dernier à s’élancer. Au half-pipe, passer en dernier constitue un avantage stratégique, et un privilège. Le premier des qualifications peut observer la concurrence et sait précisément, avant de s’engager dans la demi-lune glacée, le score à battre pour l’emporter. Le snowboardeur américain y tenait, à sa « place favorite ». Et il était allé la chercher en qualifications. Dernier à s’élancer, il l’était donc, mercredi 14 février, lors de l’ultime run (passage) de la compétition de snowboard half-pipe des Jeux olympiques de Pyeongchang. Face au demi-tube, la star mondiale des sports extrêmes était dos au mur.

Délogé de la première place par le jeune Japonais Ayumu Hirano lors du second run, après un premier passage de haut vol, Shaun White devait réaliser un exploit pour remporter son troisième titre olympique (après Turin en 2006 et Vancouver en 2010), celui de la rédemption après son échec à Sotchi. Le temps était couvert et la foule attendait. Venus en très grand nombre - une rareté à Pyeongchang - et acquis à la cause de l’ancienne « Tomate volante », les spectateurs du snowpark de Bokwang retenaient leur souffle. « Je suis là-haut, et je vois Ayumu battre mon score. J’étais frustré, a relaté après la compétition un Shaun White épanoui. J’espérais que mon premier run me permettrait de gagner. C’était l’un des plus grand 1440 [un saut avec une rotation de quatre tours complets, extrêmement compliqué à réaliser] que j’aie jamais fait de ma vie, et dès le premier coup. Mais il a fait un superbe run, et la pression était sur moi. »

Grands changements après Sotchi

Quatre ans plus tôt, dans des circonstances analogues, le natif de San Diego n’était pas parvenu à renverser la tendance, terminant les Jeux de Sotchi sur une quatrième place bien éloignée de son standing. Car l’homme est une légende de son sport. Outre ses titres olympiques, il a accumulé treize médailles d’or de snowboard et deux en skateboard aux X-Games, ce rendez-vous annuel des sports extrêmes. « Il n’avait pas le droit à l’erreur, estime Mathieu Crépel, son ancien camarade de glisse, consultant pour France Télévisions lors de ces Jeux. S’il se replantait, on allait tout oublier de sa carrière fantastique pour ne retenir que ça. » Et l’ancien snowboardeur pyrénéen de saluer « les efforts que Shaun a dû faire pour se maintenir au sommet, tant le niveau a évolué ».

Doté d’une aura mondiale uniquement comparable à celle du skateur Tony Hawk, Shaun White est bien plus qu’un snowboardeur. Véritable entreprise à lui tout seul, il a frayé avec Hollywood et la mode - ce qui ne l’a pas toujours rendu populaire dans le landerneau du snowboard - mais a toujours tenu à être considéré comme un sportif avant tout. Il a fait les efforts nécessaires pour le rester.

« Quand il était jeune, il faisait partie d’un programme ayant pour objectif d’en faire le meilleur snowboardeur du monde et de l’histoire »

Mathieu Crépel, qui a effectué ses gammes aux côtés de l’Américain, dans sa jeunesse, explique que ce dernier « a tout changé après son échec à Sotchi : son coach, sa façon de s’entraîner, son manager », ajoutant : « Il a tout remis à plat et il est reparti, malgré de grosses blessures. » En octobre 2017, une mauvaise chute lors d’un entraînement en Nouvelle-Zélande a valu à Shaun White soixante-deux points de suture, une opération au visage, et remis un instant en cause sa participation aux Jeux olympiques. A l’époque, son entraîneur estimait à 50 % ses chances de rejoindre la Corée.

US Shaun White competes during qualification of the men's snowboard halfpipe at the Phoenix Park during the Pyeongchang 2018 Winter Olympic Games on February 13, 2018 in Pyeongchang. / AFP / LOIC VENANCE / LOIC VENANCE / AFP

Son père, Roger White, qui ne dissimulait pas ses larmes de joie après le titre de son fils, a admis avoir « découvert à quel point [celui-ci] avait été atteint par Sotchi, ainsi que les efforts produits pour s’entraîner » en regardant SnowPack, le documentaire réalisé par Shaun White sur son chemin vers Pyeongchang.

Au cours de « la compétition la plus relevée de l’histoire » – selon l’avis unanime des participants –, les concurrents du Californien volant l’ont forcé à puiser dans son sac des tours encore jamais sortis. « Shaun et moi avons une grande rivalité et cela nous aide à repousser nos limites », a souligné le champion du monde australien Scotty James, auteur d’un premier passage de haut vol.

« Mister Perfect »

Quant au prodige japonais Ayumu Hirano, dix-neuf ans à peine mais déjà double médaillé d’argent aux Jeux, son second run quasi-parfait a poussé le champion dans ses derniers retranchements. Mais cela n’a pas suffi, « Mister Perfect », le surnom que lui donne sa famille depuis qu’il a réalisé un score parfait (100 points) mi-janvier, obtenant 97,75 points lors de son dernier run. « Je suis là-haut, je tape dans la main de mon coach, de mon équipe et je m’assois, raconte Shaun White. Je regarde le pipe et je me dis : “Tu sais que tu as ça en toi. Tu l’as fait toute ta vie, toute ta carrière. Savoure cet instant, car tu pourrais bien gagner les Jeux olympiques.” Et j’y suis allé, et tous mes soucis se sont envolés. J’ai cru en moi, et c’est passé. »

Shaun White, of the United States, jumps during the men's halfpipe finals at Phoenix Snow Park at the 2018 Winter Olympics in Pyeongchang, South Korea, Wednesday, Feb. 14, 2018. (AP Photo/Gregory Bull) / Gregory Bull / AP

Fer de lance d’une équipe américaine de snowboard dominant la concurrence, Shaun White a rejoint ses compatriotes Red Gerard, Jamie Anderson (slopestyle) et Chloé Kim (half-pipe), déjà sacrés à Pyeongchang. « Il est là pour gagner. Toujours. Même en vacances, il trouve le moyen d’instaurer une compétition, et ce depuis son plus jeune âge », martèle son père. Né avec une malformation cardiaque et opéré deux fois avant ses cinq ans, Shaun White est monté sur sa première planche à l’âge de six ans. Et sur neige comme sur bitume, il ne l’a plus quittée. « Il a été formaté, souligne Mathieu Crépel, qui se souvient d’un jeune homme obnubilé par le succès. Quand il était jeune, il faisait partie d’un programme ayant pour objectif d’en faire le meilleur snowboardeur du monde et de l’histoire. »

« Les attentes sont énormes, confirme Shaun White. Je suis supposé être le meilleur, celui qui réalise des scores parfaits, et parfois je me demande si les juges ne vont pas moins bien me noter à cause de ça. » Shaun White, qui apporté mercredi aux Etats-Unis la 100e médaille d’or aux Jeux d’hiver de leur histoire – tout un symbole – figure, selon son entraîneur J.J. Thomas, « parmi les plus grands noms de tous les temps en sport ». A 31 ans, il ne compte pas s’arrêter là. Le skate devenant olympique en 2020, à Tokyo, le Californien a déjà évoqué l’idée de prendre part à de nouveaux Jeux, d’été ceux-là. Et à n’en pas douter, il voudra de nouveau s’élancer en dernier.