Cela ressemble à une légère éclaircie dans le ciel politique togolais, plombé depuis des mois. Ce jeudi 15 février marque, à Lomé, la première journée d’un dialogue politique réunissant des représentants du pouvoir de Faure Essozimna Gnassingbé et d’une coalition de quatorze partis d’opposition qui, depuis six mois, bat l’asphalte et la latérite des rues togolaises pour demander son départ. Une première journée qui devrait en appeler d’autres. Ou pas. Tant sont éloignées les positions de départ.

Mais voir les deux camps assis autour de la même table, c’est déjà une avancée. « On revient de loin, se réjouit un ministre ouest-africain qui suit le dossier. Nous sommes passés d’un risque de confrontation directe à un climat plus apaisé. » Cette première rencontre, obtenue grâce à la médiation du Ghana et de la Guinée, ne préjuge de rien. Elle n’est qu’un préliminaire à des discussions de fond (réforme constitutionnelle, transparence du processus électoral…) que le président ghanéen, Nana Akufo-Addo, aimerait voir débuter le 19 février.

Un face-à-face généralement stérile

Avant cela, les deux parties devront s’entendre sur la qualité et le nombre de participants, dresser l’ordre du jour des rendez-vous ultérieurs et discuter de nouvelles mesures d’apaisement. Concernant ce dernier point, la coalition d’opposition demande « la libération de la centaine de militants arrêtés depuis le début des marches [en août 2017], celle des sept personnes détenues depuis les incendies des marchés de Kara et de Lomé en 2003, la levée du siège des villes de Mango, Bafilo et Sokodé, ainsi que la fin du harcèlement des leaders politiques », énumère Nathaniel Olympio, président par intérim du Parti des Togolais. « Ces mesures non négociables doivent être prises avant le début des discussions proprement dites », a averti Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement.

Le pouvoir estime avoir déjà fait preuve de sa bonne volonté. Des dizaines de manifestants ont été libérés, parmi lesquels les imams de Bafilo et Sokodé, deux villes contestataires situées dans la moitié nord du pays et jusqu’alors considérés comme pro-régime. Des mesures d’encadrement sécuritaire des manifestations ont également été prises, évitant que le maintien de l’ordre ne dérape à nouveau. Selon un bilan établi par l’AFP, seize personnes – dont deux militaires lynchés par la foule – ont été tuées depuis août et des dizaines d’autres blessées.

Si les premiers obstacles sont franchis, les deux parties s’attaqueront ensuite aux questions de fond. Un processus que le manque de confiance réciproque a semé d’embûches. Car ce face-à-face, généralement stérile, parfois meurtrier, ne date pas d’hier. Peu après la mort de son père, Gnassingbé Eyadéma, le 5 février 2005, le jeune Faure, 39 ans à l’époque, est installé sur le fauteuil présidentiel avec le soutien de l’armée et grâce à un tour de passe-passe constitutionnel suivi d’un coup de force électoral. La répression des manifestations qui s’en suivirent provoqua la mort de plusieurs centaines de personnes et un profond traumatisme dans la société togolaise.

Sa réélection en 2010, puis celle de 2015, furent l’une et l’autre contestées par l’opposition. Les manifestations devinrent d’une banalité routinière, jusqu’à l’étiolement. Mais depuis août 2017, la contestation est revigorée, notamment avec l’arrivée d’un nouvel acteur politique, Tikpi Atchadam, qui a rallié à l’opposition des militants du nord du pays et de certains quartiers de Lomé jusqu’alors acquis au pouvoir.

« Cinquante ans, ça suffit ! »

Faure Gnassingbé peut toujours compter sur une base de partisans, difficile à évaluer en l’absence de sondages et du fait du manque de transparence des processus électoraux. Et son parti, l’Union pour la République (Unir), dispose d’une implantation nationale. Mercredi, à l’occasion de la remise de leur rapport annuel, les forces armées togolaises, qui n’ont jamais fait défaut à la famille, ont quant à elles « salué » l’action du président et « renouvelé loyauté et fidélité ».

Mais Faure Gnassingbé porte comme une croix le poids de son ascendance. « Le péché originel », dit-on à Lomé. Celui d’avoir succédé à un père président qui a régné sans partage trente-huit années durant. Même si tout le monde reconnaît que le régime du fils n’a rien à voir avec la dictature du père, une partie de la population, comme au Gabon de la famille Bongo, se retrouve derrière un slogan aussi fédérateur que réducteur : « Cinquante ans, ça suffit ! » La chute inattendue, en 2014, de Blaise Compaoré, que l’on croyait indéboulonnable au Burkina Faso, a ranimé les espoirs d’une jeunesse désœuvrée. « La population attend l’alternance politique, que le régime cède sa place, et le retour à la Constitution de 1992 », tranche Nathaniel Olympio.

« Le retour à la Constitution de 1992 » revient comme un leitmotiv. Il signifie réinstaurer un scrutin présidentiel à deux tours (contre un seul actuellement) et limiter à deux le nombre de mandats successifs qu’un président peut accomplir. Le gouvernement a adopté un projet de réforme dans ce sens, qu’il entend soumettre à référendum. Mais il ne suffit pas à calmer les opposants.

Certes, ils ne réclament plus le départ immédiat de Faure Gnassingbé. Mais ils veulent avoir l’assurance qu’il ne se présentera pas de nouveau à la fin de son mandat, en 2020, une fois les compteurs remis à zéro avec la nouvelle Constitution. « Nous n’avons pas confiance en ce régime. Nous demandons donc la formation d’un gouvernement de transition jusqu’à la présidentielle, tout en sachant que le pouvoir n’imagine même pas de le céder un jour », insiste Nathaniel Olympio. Des revendications dictées en partie par la pression de la rue et qui sortent très largement du cadre dans lequel le pouvoir entend maintenir les discussions.

Pas de conférence nationale

« Le dialogue, rien que le dialogue. Il n’y aura pas de conférence », avait précisé, en décembre, le président dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Une référence aux conférences nationales qui avaient organisé les transitions démocratiques et refondé les institutions de nombreux pays africains au début des années 1990. « Nous n’avons qu’un objectif, affirme un conseiller présidentiel. Sortir le plus rapidement possible de cette crise qui a fait chuter drastiquement les recettes de l’Etat et stopper des chantiers. »

A l’amorce de ce dialogue politique, le énième au Togo, le seul point commun aux deux parties semble être la nécessité de ne pas perdre la face auprès de leurs soutiens et vis-à-vis d’une communauté internationale qui suit la crise togolaise de près. Est-ce suffisant ?