Grève générale largement suivie depuis fin janvier dans la fonction publique pour protester contre de nouvelles coupes de salaires, appels à des marches pacifiques sévèrement réprimées pour cause de « trouble à l’ordre public », suspension de l’aide budgétaire du Fonds monétaire international (FMI), statu quo des discussions engagées avec le géant du commerce des matières Glencore pour renégocier une dette de plus de 1 milliard de dollars (plus de 800 millions d’euros) devenue insoutenable depuis la chute des cours du pétrole en 2014.

Idriss Déby, au pouvoir au Tchad depuis 1990, affronte une nouvelle vague de contestation. Chef de file de l’opposition, le député de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR), Saleh Kebzabo, dénonce son refus d’ouvrir un dialogue national et conteste l’analyse des Occidentaux qui voient dans le maître de N’Djamena un rempart contre le terrorisme.

Cette nouvelle crise est-elle différente des précédentes ?

Saleh Kebzabo La crise touche tous les secteurs et toutes les grandes villes du pays. Et elle est durable. Cela fait trois ans que les Tchadiens souffrent des difficultés économiques provoquées par la chute des prix du pétrole et on ne voit toujours pas de solution. Mais ils souffrent plus encore de la mauvaise gouvernance.

L’argent du pétrole a été dilapidé. S’il avait été géré autrement, le choc serait moins dur aujourd’hui et il y aurait eu de l’argent pour le développement. Mais personne n’a été arrêté pour avoir détourné l’argent du pétrole, et au moment où il faut trouver de nouvelles économies, c’est vers ceux qui n’ont rien reçu que le gouvernement se tourne. Cela témoigne d’un grand mépris pour la population.

Idriss Déby n’a aucune solution pour ce pays. Il attend la remontée des prix du pétrole alors que les problèmes du Tchad sont beaucoup plus profonds. Ce pays est bloqué et son président est coupé de la réalité. Sa seule réponse est la répression. Il ne veut pas entendre un autre son de cloche que le sien, comme en témoigne la démission du ministre de la culture, Mahamat Saleh Haroun.

Les appels à des marches pacifiques sont peu suivis. Cela ne montre-t-il pas les limites de la contestation ?

Lorsque les Tchadiens ne sortent pas pour manifester, ce n’est pas parce qu’ils sont plus peureux que les autres, mais parce qu’ils sont face à un homme qui ne souffre aucune contestation et envoie sa garde républicaine pour réprimer les manifestants. Cette garde de plusieurs milliers d’hommes a été recrutée parmi les membres de sa tribu, de son clan.

Ces hommes qui agissent aujourd’hui en revêtant des tenues de police dans les rues N’Djamena n’ont aucune formation pour gérer des manifestations. Ils tirent. Ils ne savent même pas utiliser les bombes lacrymogènes qu’ils dirigent vers les individus. Un de mes camarades a perdu son œil. La culture politique d’Idriss Déby est le rapport de forces. Il pense aujourd’hui qu’il est en sa faveur, mais il se trompe. La rébellion s’amplifie.

Comment cela ?

La réélection illégitime d’Idriss Déby en 2016 pour un cinquième mandat a poussé beaucoup de militants à rejoindre les mouvements de rébellion installés dans le sud de la Libye et au Darfour. Il s’agit de milliers d’hommes. Ils guettent le bon moment pour intervenir et je peux vous l’assurer, il y aura du grabuge.

Nous avons proposé l’ouverture d’un dialogue national pour sortir de l’impasse dans laquelle est entraîné le pays. Mais, jusqu’à présent, le pouvoir nous a opposé une fin de non-recevoir.

Idriss Déby est considéré comme le plus solide allié des Occidentaux dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. En septembre 2017 à Paris, il lui a été promis une aide importante pour financer son programme de développement. Que pensez-vous de ce soutien ?

Les Occidentaux soutiennent leurs intérêts. Idriss Déby leur a vendu qu’il était le seul à pouvoir lutter contre le terrorisme au Sahel et, pour cela, ils sont prêts à payer cash. Mais ce qu’ils laissent faire aujourd’hui aura un coût. Si le pays s’effondre, ils devront intervenir. Qui peut penser un seul instant que cet homme qui n’a jamais fait aucune réforme pour développer son pays, va changer au bout de vingt-huit ans de pouvoir. Les donateurs connaissent Déby et ils le savent parfaitement. Ils s’en accommodent car ils ont décidé que c’était pour eux la carte à jouer.

Dans le discours des Occidentaux, l’effondrement de la Libye qui a suivi la chute de Mouammar Kadhafi sert souvent de repoussoir pour envisager de retirer le soutien à ce régime.

Cette façon de pensée trahit le prisme de l’analyse occidentale qui personnalise le pouvoir à travers un seul homme comme si aucun autre n’était capable de diriger le Tchad. Pourquoi serait-ce le chaos après Déby ? Vous n’avez pas ce genre de raisonnement lorsqu’il s’agit de vos pays. Personne n’a pensé que ce serait le chaos après le départ de De Gaulle. Et vous venez d’élire un jeune homme de 39 ans qui était inconnu il y a peu. Pourquoi cela n’arriverait pas au Tchad ? Il y a des hommes jeunes capables de diriger ce pays alors qu’Idriss Déby est le moins qualifié des Tchadiens pour cela. Nous n’attendons pas notre libération des Européens ou des Français et notre lutte va donc continuer.