Martin Fourcade. / MURAD SEZER / REUTERS

Des traces d’humanité ont été trouvées chez Martin Fourcade : jeudi 15 février, le triple champion olympique de biathlon a commis deux fautes d’affilée à la toute fin d’un 20 km qu’il s’apprêtait à remporter avec plus d’une minute d’avance. Ce n’est pas le vent, ce n’est pas un problème de carabine, c’était seulement une erreur comme il n’en avait pas commis depuis plusieurs années dans un grand championnat.

Un manque de lucidité immédiatement attribué à la fatigue. Car oui, Martin Fourcade peut être fatigué. Il a le regard noir et la voix sèche, loin de l’air ahuri affiché après son sprint raté, lorsqu’il attribuait encore ses trois erreurs au tir à un phénomène paranormal ou météorologique. Ce jeudi soir, la colère dont il dit avoir besoin pour rebondir sur la course suivante est là, palpable.

« Je n’étais vraiment pas bien, c’était vraiment difficile. Sur les skis, c’était une sale journée pour moi, je me suis battu tout le long. Il y a quatre secondes de la course où je me bats pas et… c’est de la colère. Il n’y a pas de réaction, d’électrochoc après la première faute. Je n’ai pas réussi à conserver le niveau d’attention que requiert le haut niveau. (…) Je donne un titre olympique. »

Le Norvégien Johannes Boe, médaillé d’or. / TOBY MELVILLE / REUTERS

Un confrère ose : « Le match avec Johannes [Boe] est relancé ? » « Non, pas à mon goût », répond Fourcade en s’en allant. Il n’y a pas match, pour lui, car l’affaire était entendue jusqu’à cette 18e balle : il restait le roi des Jeux, et Johannes Boe un lointain poursuivant, encore empêtré dans ses difficultés au tir (une faute au premier, couché, et une autre au dernier, debout). Puis Fourcade met une balle à la limite inférieure de la cible, qui ne tombe pas. Une minute de pénalité.

Au lieu de se repositionner – il a le temps, le titre reste sien –, il enchaîne une deuxième balle, elle aussi trop basse, à gauche. Le titre est passé, le podium passera avec les passages de Jakov Fak et Dominik Landertinger, auteurs de deux 20 sur 20 face aux cibles.

« Il aurait dû se reprendre »

« Il aurait dû se reprendre, confirme Franck Badiou, son entraîneur du tir. Ce n’est pas du tir couché dans le vent. Il y a moyen de se dire, bien à l’abri, “Celle-là mérite un peu plus d’attention”. Or les deux sont parties presque dans la même déflagration. (…) Martin, même au bout d’une individuelle, a normalement plus de peps et de réaction que ce qu’il a eu là. »

Franck Badiou ne se souvient pas de deux fautes consécutives, dans une individuelle où les fautes comptent tant, dans un grand championnat. Son prédécesseur Siegfried Mazet, désormais entraîneur des Norvégiens et à ce titre soulagé par la première médaille, en or, de ces Jeux, doit remonter à 2010 ou 2011. Et encore, sur une Coupe du monde.

Siegfried Mazet connaît son Fourcade sur le bout des doigts. Il ne s’attendait pas à un tel cadeau et l’imaginait même intouchable sur cette individuelle, loin devant ses Norvégiens incapables de fauter moins de deux fois.

« Je pense qu’il s’est dit qu’il avait une balle de marge. Et qu’à partir du moment où il rate la quatrième, il se dit “C’est bon, la cinquième je la mets et c’est bâché”. »

Sous antibiotiques mardi

L’explication de cette absence de lucidité réside peut-être dans les quatre heures de sollicitations médiatiques ayant suivi son titre de la poursuite, lundi soir. Il avait rejoint son lit à 3 heures du matin et en était tiré à neuf par une gorge enflammée le privant de grasse matinée.

Le médecin de l’équipe de France l’a alors mis sous antibiotiques, révèle l’entraîneur Stéphane Bouthiaux, ainsi qu’Anaïs Bescond, médaillée de bronze quelques heures plus tôt et victime du même mal. « Le médecin a vite réagi mais je pense qu’on est passé à deux millimètres de la catastrophe », dit Bouthiaux. En 2014, le Français était aussi tombé malade après son deuxième titre olympique, et souffrait d’une sinusite au matin de la mass-start… qu’il avait tout de même finie à trois centimètres du vainqueur Emil Svendsen.

La trachéite de Pyeongchang était, elle, en voie de disparition dès mercredi. Franck Badiou l’a vu « facile à l’entraînement, une démonstration ». Elle constitue pourtant un début d’explication à ces jambes répondant moins bien que d’habitude, à cette perte de concentration au bout du quatrième tir. « Il n’a pas l’habitude de faire des courses où il se donne à 100 % tout le temps, explique son coéquipier Antonin Guigonnat (23e). D’habitude, il gère toujours son niveau, qui suffit pour gagner. Là, il m’a dit qu’il était à fond dès les 100 premiers mètres. »

« Ce n’est pas une excuse, puisque j’ai bien réussi à me remettre en jeu sur une grande partie de la course », insiste Martin Fourcade. De fait, son temps de ski, à vingt-deux secondes de Johannes Boe, est loin d’être ridicule. Mais il lui a fait perdre sa maîtrise habituelle.

Le Français dispose désormais de deux soirs sans course avant de livrer à Johannes Boe un véritable duel, sur la « mass start », dimanche. Il est souvent dit que le Français est imbattable lorsqu’il est en colère. Mais le scénario d’un Martin Fourcade en colère et fatigué a, lui, moins de précédents.