Mercredi 7 février, la ministre de la culture, Françoise Nyssen, annonçait la mise en place de mesures contraignantes en vue d’atteindre la parité femmes-hommes dans le monde de la culture, où les postes et les moyens financiers sont très inégalement répartis. Françoise Nyssen s’est même dit prête à envisager un malus pour les lieux qui ne respecteraient pas les objectifs annuels de progression qu’elle a fixés (Le Monde daté vendredi 9 février).

Ces annonces ministérielles ont été puisées dans un rapport du Haut Conseil à l’égalité (HCE) entre les femmes et les hommes. Intitulé Inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture. Acte II : après dix ans de constat, le temps de l’action, ce document de 135 pages a été remis à la ministre de la culture, vendredi 16 février en fin de matinée.

Le HCE s’est auto-saisi pour rédiger ce rapport – selon les codes de l’écriture incluvise – et les deux rapporteur.e.s, Anne Grumet et Stéphane Frimat, ont commencé leurs travaux en mars 2017. Cela fait maintenant des années que les militant.e.s féministes pointent les inégalités. Tout le monde ou presque se dit d’accord, mais concrètement la situation n’évolue guère. « Il faut changer d’échelle, de paradigme. Il faut une volonté de fer et de faire, j’insiste sur les deux mots, pour avancer. C’est au niveau de l’argent qu’il faut agir. Car les femmes manquent précisément de moyens financiers ainsi que de réseaux », déclare au Monde Anne Grumet.

« Une juste allocation des financements publics »

Les auteurs du rapport formulent une vingtaine de propositions, selon deux axes. D’une part, il faut « tendre à une juste allocation des financements publics ». Aujourd’hui, les moyens dédiés à la culture représentent 20 milliards d’euros, si l’on additionne le budget de l’Etat et l’engagement des collectivités locales. « L’Etat et les élus ont donc une responsabilité à l’égard des concitoyens, afin que cet argent soit ditribué équitablement entre les femmes et les hommes. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui », pointe Anne Grumet.

L’une des mesures-phares consiste à fixer des « taux de progression annuels » pour favoriser la visibilité des femmes dans les lieux culturels, et dans les programmations. Cette proposition a été reprise par Françoise Nyssen. Deux seuils sont prévus : un taux de progression de 10 % par an dans les lieux « lorsqu’un déséquilibre fort apparaît », un taux de progression de 5 % par an dans les autres cas. Un « bonus » serait prévu pour les lieux qui respectent ces objectifs chiffrés, mais en revanche un « malus », soit une baisse de subventions, serait appliqué aux mauvais élèves.

Les auteurs du rapport souhaitent la création d’un « premier musée national des femmes, ou de l’histoire des femmes »

« C’est le concept de l’éga-conditionnalité. Il faut conditionner les fonds publics de l’Etat et des collectivités à la réalisation d’avancées concrètes sur le terrain de l’égalité femmes-hommes », ajoute la co-autrice du rapport. Les quotas ne sont pas nouveaux, rappelle-t-elle : « On sait aujourd’hui qu’au XVIIe siècle, l’Académie des beaux-arts était remplie de femmes artistes. Des quotas ont été alors instaurés pour faire de la place aux hommes ». C’est dire que les quotas peuvent être efficaces ! « Mais aujourd’hui, il ne s’agit évidemment pas d’évincer les hommes, juste d’avoir un paysage équilibré et représentatif de la création », prend soin de préciser Anne Grumet.

Il faut aussi rendre visible l’apport des femmes à l’histoire de l’art. Les auteurs souhaitent la création d’un « premier musée national des femmes, ou de l’histoire des femmes ». lls demandent que la prochaine journée du patrimoine, en septembre 2018, soit dédiée justement au « matrimoine » en matière d’architecture, d’urbanisme, de textes littéraires, etc. « Il faut quand même savoir que dans les programmes de baccalauréat littéraire, aucune femme n’est à l’étude. C’est seulement cette année, en 2018, que l’on voit apparaître une autrice, en la personne de Mme Lafayette », s’étonne Anne Grumet.

« Transformer le terreau des inégalités »

Le deuxième axe du rapport vise « transformer le terreau des inégalités ». Le terrain est sensible. « Au cours des auditions, bien avant que n’éclate l’affaire Weinstein, nous avons reçu des témoignages de violences sexistes et sexuelles dans les lieux culturels. Pour autant, la parole des professionnelles de la culture et des artistes femmes se libère peu », déclare au Monde Anne Grumet. Outre l’élaboration d’une charte dans les écoles d’art, il faut « former et sensibiliser les professionnels » à la lutte contre ces violences, et « diffuser largement le numéro d’écoute national (3919) au sein des établissements culturels subventionnés par l’Etat afin de faciliter la révélation des violences ».

Plus largement, il faut lutter contre les stéréotypes. « Que ce soit au théâtre, au cinéma, dans les productions télévisuelles, dans la bande dessinée ou encore dans les jeux vidéo, l’image véhiculée des femmes est souvent stéréotypée : elles sont soit jeunes, belles et sans ambition, soit ridicules ou acariâtres voire méchantes, soit hypersexualisées, notamment dans certains jeux vidéo », lit-on dans le rapport. « Les femmes sont en outre moins représentées : les rôles manquent en particulier pour les comédiennes de plus de 50 ans dans les productions cinématographiques, théâtrales ou télévisuelles, en décalage avec la réalité sociétale ».

Enfin, dernière recommandation : « Il faut faciliter la prise en charge des enfants dans un secteur culturel aux horaires souvent atypiques et peu prévisibles », estiment les auteurs du rapport. Une aide est déjà prévue pour les intermittentes du spectacle, et l’idée serait de l’étendre à toutes les femmes travaillant dans le secteur culturel.

L’intégralité du rapport du Haut Conseil à l’égalité est disponible (en format PDF) sur le site Internet du HCE : haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_inegalites_dans_les_arts_et_la_culture_20180216_vlight.pdf