A la gare de Castelnau d’Estretefonds (Haute-Garonne), le 15 février. / REGIS DUVIGNAU / REUTERS

Editorial du Monde. Le rapport Spinetta sur « l’avenir du ferroviaire » est-il la première étape d’une réforme de la SNCF différée depuis plus de vingt ans ou bien un nouveau ballon d’essai lancé par le gouvernement avant qu’il se résolve, comme ses prédécesseurs, à reculer devant de probables mouvements sociaux ? En tout cas, le document remis le 15 février par l’ex-patron d’Air France au premier ministre décrit avec lucidité une situation que nul ne peut plus ignorer, celle d’un système ferroviaire à bout de souffle, maintenu sous oxygène par un Etat qui n’en a décemment plus les moyens.

Comment ainsi justifier 10,5 milliards d’euros de concours publics, alors que chaque année la dette continue de gonfler de 3 milliards ? Comment celle-ci, qui a déjà atteint 46 milliards, pourrait-elle passer à 62 milliards en 2026, sans que l’on entrevoie une quelconque sortie de ce cercle vicieux ? Comment continuer à dépenser 1,7 milliard d’euros chaque année pour des lignes qui transportent seulement 2 % des voyageurs ?

Pour résoudre cette équation devenue impossible, le rapport propose deux principes de bon sens – qualité qui a justement fait cruellement défaut ces dernières décennies : la « cohérence des choix publics » et la « responsabilisation des acteurs ». Leur mise en œuvre passe par des mesures-chocs. Il s’agit notamment d’une remise à zéro, ou presque, des compteurs de la dette (qui serait reprise par l’Etat) pour que l’entreprise puisse assumer sereinement l’effort de modernisation de son réseau, dont les bugs à répétition ces derniers mois ne font que souligner l’urgence. En échange de quoi, la SNCF deviendrait une société anonyme à capitaux publics, ce qui mettrait fin à la possibilité de s’endetter quasiment sans limite comme c’est le cas aujourd’hui.

Une vision comptable

Autre mesure explosive : la révision du statut des agents de la SNCF pour les nouveaux embauchés, qui se verraient ainsi privés notamment de la garantie de l’emploi et d’augmentations automatiques en dehors de toute logique économique. Un système qui ne garantit en rien la capacité de l’entreprise à remplir ses missions, mais qui génère un surcoût de 30 % difficilement supportable au moment de l’ouverture du secteur à la concurrence.

On peut reprocher au rapport de se contenter d’une vision comptable du système ferroviaire, avec pour seule perspective son attrition, sans vraiment redéfinir la place du ferroviaire sur un plan sociétal, notamment par rapport à la route, dont le coût réel reste peu transparent et les conséquences environnementales lourdes. Mais il a le mérite de souligner une évidence : la situation n’a que trop duré et attendre pour agir ne ferait que l’aggraver.

C’est dans ce contexte que le premier ministre doit maintenant ouvrir une « première phase de concertation ». Certains syndicats parlent déjà de « déclaration de guerre », tandis que la CGT appelle à une « manifestation nationale » des cheminots le 22 mars, espérant raviver le souvenir des grandes grèves de 1995, qui n’a cessé de hanter tous les gouvernements au cours des deux dernières décennies.

Emmanuel Macron prend le pari que la France de 2018 a changé, et que les propositions de réforme qui avaient conduit, il y a vingt-trois ans, aux fameuses « grèves par procuration » d’une partie de la population ont fini par infuser dans les esprits. C’est un pari risqué, mais s’il n’est pas tenté, c’est notre système ferroviaire qui pourrait être le grand perdant.