Sorti fin 1997, « Age of Empires » est l’un des derniers classiques du jeu de stratégie en temps réel. / Microsoft

Il y a vingt ans, le jeu vidéo Age of Empires faisait souffler un vent nouveau sur le jeu de stratégie, mêlant la frénésie en temps réel des jeux comme Warcraft ou Command & Conquer à l’ampleur historique de Civilization.

Pour marquer cet anniversaire (et en attendant le quatrième épisode de la série), Microsoft publie mardi 20 février un « remake » de ce titre culte, Age of Empires : Definitive Edition, disponible sur Windows 10 via le Windows Store. Un jeu identique sur le fond, mais aux graphismes plus fins, aux musiques remasterisées, et à l’interface modernisée. Pixels a pu s’entretenir avec Adam Isgreen, nouveau directeur créatif de la série.

Bien avant de reprendre en main Age of Empires, vous avez travaillé sur d’autres jeux du genre. Quel effet ça fait de revenir à ses premières amours ?

Oui, j’ai travaillé chez Westwood Studios. A l’époque, les trois poids lourds du genre étaient Command & Conquer chez Westwood, les Warcraft et Starcraft de Blizzard, et enfin Age of Empires. C’est super fun de pouvoir me dire que j’ai pu travailler sur deux des trois grosses licences qui ont défini le genre. Après Command & Conquer j’ai travaillé sur d’autres jeux mais quand j’ai repris Age of Empires, c’est comme s’ils n’avaient pas existé. Je me suis tout de suite dit « ah oui, je me rappelle pourquoi on faisait comme ça à l’époque ! ».

Le jeu de stratégie est fracturé en multiples sous-genres, avec les MOBA [Leagues of Legends, Dota 2, etc.], ou même Farmville… Il est temps de ramener les jeux de stratégie à l’ancienne sur le devant de la scène. Et je suis sûr que Blizzard travaille aussi sur quelque chose en ce moment.

« Age of Empires » / Microsoft

Comment en êtes vous arrivé à travailler sur ces jeux ?

J’ai commencé en travaillant chez SSI, sur des jeux de rôle Donjons et Dragons. Je suis tombé amoureux du Dune 2 de Westwood Studios, auquel je jouais à peu près tous les midis. Au CES de Las Vegas, j’ai vu Command & Conquer, et il avait l’air extraordinaire. Je me suis dit « allez, je tente le coup ! ». Je leur ai envoyé ma candidature, j’ai rencontré l’équipe, Brett Sperry, Louis Castle, ça s’est passé comme ça. Ça a été facile de m’adapter : pour moi, les jeux de stratégie, au fond, sont des jeux de rôle en temps réel. J’adore les jeux de stratégie, j’ai travaillé sur beaucoup de projets différents, j’ai porté certaines innovations qui sont encore utilisées aujourd’hui.

Par exemple ?

Le mode « escarmouche », qui permet de jouer en multijoueurs contre une intelligence artificielle, ça date des jeux que je supervisais chez Westwood. Ou l’icône d’une unité que l’on construit qui se remplit progressivement, comme l’aiguille d’une horloge. Voilà une anecdote marrante à ce sujet : dans le design original de Command & Conquer, les spirales sur les icônes des bâtiments, qui représentent le temps de construction restant, étaient au départ censées symboliser le mécanisme d’un distributeur de bonbons. Comme si les bâtiments étaient des distributeurs, et que vous en faisiez tomber votre unité. Dans Command & Conquer : Alerte Rouge, les missions chronométrées sont à mettre à mon crédit aussi – mais rétrospectivement je me suis rendu compte que ce type de missions n’est pas si fun que ça.

Age of Empires IV Announce Trailer
Durée : 01:38

Sur Age of Empires d’ailleurs, il y a une ambiance assez tranquille – même si ça reste un jeu de guerre.

Oh oui. C’est une des qualités d’Age of Empires : il y a de nombreuses façons de gagner. C’est un jeu incroyable, simple à prendre en main, avec son propre rythme, vous n’êtes pas obligé de jouer hyper agressif… C’est un de nos mantras sur la série : s’assurer que Age of Empires reste Age of Empires. Que ce soit le premier, le deuxième, le troisième ou le prochain, il faut réussir à réconcilier les joueurs pointus avec les joueurs occasionnels.

Sur un remake tel que celui d’Age of Empires, de quelles latitudes bénéficiez-vous en tant que directeur créatif ?

Un de mes précédents jeux était [le dernier] Killer Instinct. Mon rôle était déjà de faire en sorte qu’on ne perde pas de vue les sensations des épisodes originaux. Une partie de mon boulot est d’identifier et de disséquer ces sensations. Quand George Lucas a voulu refaire Star Wars, il a fait beaucoup de choses très bien, d’excellents effets spéciaux, un son parfait, et puis, soudain, il a décidé que Greedo devait tirer le premier. C’est le genre de trahison qu’il faut à tout prix éviter quand on « remake » une œuvre.

Microsoft a annoncé l’été dernier que la série « Age of Empires » allait s’enrichir d’un quatrième épisode. / Microsoft

On se serait attendu à ce que vous en profitiez pour corriger une des limites du jeu, dans lequel tous les peuples, européens, asiatiques, africains, sont invariablement blancs…

Je pense que ce qu’il s’est passé avec l’original, c’est qu’ils ne devaient pas avoir le choix à cause des limitations de la mémoire. Mais je vais vous dire un truc : nous n’avons pas parlé de ça en interne et je regrette que nous ne l’ayons pas fait. Parce que c’est un point très pertinent, et à l’avenir j’y ferai attention. Je suis déjà quasiment sûr que dans Age of Empires IV on y a fait attention, vous me faites penser qu’il faut vraiment que je m’assure que c’est le cas. Je suis d’accord avec vous, la diversité est une chose merveilleuse qu’on doit réussir à représenter. On ne l’a pas vraiment fait dans Age of Empires Definitive Edition mais je m’assurerai qu’on le fera dans le prochain.

Adam Isgreen, directeur créatif de la série « Age of Empires ». / Microsoft

Le principal apport de cette version, ce sont des bâtiments et unités redessinés en haute résolution, et la possibilité de dézoomer. Est-ce que cela change la façon de jouer ?

Je vais vous raconter une super histoire, qui remonte à l’époque de Westwood Studios, et qui reste vraie aujourd’hui. Quand on est passé du système d’exploitation MS-DOS, et sa résolution de 320 pixels sur 200, à Windows, qui était alors en 640 pixels sur 480, les joueurs, comme ils avaient un écran plus grand, ont commencé à construire davantage d’unités avant d’attaquer. C’est fascinant, mais c’est vrai : avant ça, les gens se disaient « j’ai dix tanks, c’est bon, je peux attaquer ». D’un coup c’est devenu « j’ai besoin de vingt tanks au moins, je ne suis pas prêt ! ».

Les unités sont abstraites, on ne regarde plus que la forme générale sur l’écran, et les gens ont besoin d’être rassurés par la masse avant d’attaquer. Ce qui est bien c’est que les vétérans du jeu savent qu’ils n’ont pas besoin de tant d’unités que ça, donc ils sont plus efficaces. C’est quelque chose qu’on assimile progressivement.