Les familles de Salam Sabah et Abdullah Abu Sheikha, 16 et 17 ans, durant leur veillée funèbre, le 18 février à Gaza. / SAID KHATIB / AFP

La tente, les dattes, le café, les petits gobelets en carton. La photo du mort, les chaises en plastique pour les invités. Triste, immuable rituel palestinien. A Rafah, au sud de la bande de Gaza, la famille Sabah recevait les condoléances des proches et des officiels, dimanche 18 février. La veille, Salem, 16 ans, avait quitté le domicile en début de soirée. A 20 heures, il était mort, à 300 mètres de la frontière, atteint par des tirs israéliens. L’un de ses amis a connu le même sort, deux autres ont été hospitalisés. Tous victimes civiles de la poussée de violences du week-end, débutée samedi près de la clôture de sécurité, à l’est de l’enclave.

Ce jour-là, quatre soldats israéliens ont été blessés, dont deux grièvement, alors qu’ils s’approchaient d’un drapeau palestinien sous lequel se trouvait un engin explosif, selon les premiers éléments de l’enquête. Le drapeau a sans doute été planté là, sur la clôture de la zone tampon, par de jeunes manifestants. Chaque vendredi, ils ont pris l’habitude d’y protester depuis la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les Etats-Unis, le 6 décembre.

Tunnel d’attaque

Dans la foulée, l’armée israélienne a déclenché une série de raids aériens et de tirs d’artillerie contre 18 cibles, attribuées au Hamas et au Jihad islamique, parmi lesquels se serait trouvé un tunnel d’attaque. Les factions palestiniennes, qui se doutaient de ces représailles importantes, avaient évacué tous leurs hommes. On ne sait dans quelles circonstances les deux jeunes de Rafah ont trouvé la mort.

Le père de Salem, Mohammed Sabah, 48 ans, parle d’une voix monocorde, comme s’il était bouclé à double tour, toutes émotions ravalées. Il avait déjà perdu un fils pendant la guerre de l’été 2014. La famille, d’origine bédouine, provient de la ville israélienne de Beer-Sheva. Jusqu’à la seconde Intifada, Mohammed Sabah travaillait comme ouvrier agricole en Israël. Les frontières se sont fermées. Puis le Hamas a pris le pouvoir en 2007, le blocus a été imposé par l’Etat hébreu et l’Egypte, et le père de famille a vécu de mendicité humanitaire, grâce à l’UNRWA, le programme d’aide de l’ONU pour les réfugiés palestiniens.

« Mon fils aimait lire, il voulait devenir enseignant. » Quand Salem sortait avec ses copains, dit son père, « c’était pour jouer, allumer parfois un feu de camp. » Pourtant, une autre version circule à Gaza, selon laquelle les jeunes essayaient de passer la clôture pour aller chercher un sort décent en Israël, dans la clandestinité. Le fait même qu’une telle rumeur voit le jour, pour un garçon de 16 ans, dit un désespoir collectif.

Laisser faire, c’est faire savoir

Les factions palestiniennes, contrairement à leurs habitudes, n’ont même pas rivalisé en hommages pour les disparus. Comme si l’affaire était entendue : l’affront infligé à l’armée israélienne samedi ne pouvait rester impuni. Mais ni le Hamas, ni le Jihad islamique, les deux principaux mouvements palestiniens à Gaza, n’ont revendiqué l’opération. L’armée israélienne elle-même s’est contentée de dire qu’elle tenait le Hamas pour responsable de toute attaque ou tentative en provenance du territoire enclavé.

« Notre politique consiste à préserver le calme à Gaza, à éviter la guerre, assure Ghazi Hamad, cadre du Hamas et responsable des relations internationales. Mais plus on met de pression sur Gaza, et plus il y aura de conséquences négatives. Les gens tiennent l’occupation pour responsable de leurs malheurs. » Le propos est quasiment identique chez Daoud Shehab, porte-parole du Jihad islamique. « Il s’agit d’un événement naturel, dit-il. La zone où l’explosion a eu lieu est agricole, les Israéliens y tirent régulièrement sur les agriculteurs pour les empêcher d’accéder à leurs terres. Cette action est légitime. Mais il n’est pas dans notre intérêt d’aller à la confrontation directe avec les Israéliens. »

Dimanche matin, le ministre de la défense israélien, Avigdor Lieberman, a mis en cause la responsabilité de l’organisation des Comités de résistance populaire. A Gaza, Omar Shaban, directeur du centre PalThink, reconnaît qu’aucun des acteurs majeurs – ni Israël, ni le Jihad islamique, ni le Hamas – ne souhaite une escalade pouvant conduire à une nouvelle guerre, alors que Gaza est déjà à genoux.

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Mais selon cette analyste, tout n’est pas entrepris pour empêcher les actions comme celle de samedi, ou bien le nouveau tir de roquette déclenché dimanche soir en direction d’Israël, tombé dans une zone inhabitée. Laisser faire, c’est faire savoir. « Il s’agit d’une méthode que le Hamas et les autres factions ont utilisé ces dernières années, dit-il, pour envoyer un message aux Israéliens sur la détérioration de la situation à Gaza. » Puisque les télégrammes diplomatiques, les articles, les rapports officiels ne suffisent pas, des pics contrôlés de violence, tolérés mais non initiés par le Hamas, serviraient à rappeler que Gaza bouge encore, et reste un drame irrésolu, en plein développement.