L’image d’un Ivoirien de 8 ans blotti dans une valise pour passer une frontière avait ému le monde en 2015 : son père doit être jugé, mardi 20 février, à Ceuta, enclave espagnole au Maroc et lieu de nombreuses tentatives désespérées pour gagner l’Europe coûte que coûte. « Je vais à ce procès très confiant parce que je ne suis pas un trafiquant d’êtres humains. Je n’allais pas trafiquer avec mon propre enfant », a déclaré à l’AFP Ali Ouattara, 45 ans.

Le 7 mai 2015, une jeune Marocaine avait attiré l’attention des gardes civils en traînant une lourde valise au poste-frontière. Passant le bagage aux rayons X, les agents avaient découvert, stupéfaits, la silhouette d’un enfant recroquevillé en position fœtale : du jamais-vu sur un écran scanner à Ceuta.

« Je m’appelle Adou », leur avait dit le garçon en français, selon le journaliste espagnol Nicolas Castellano, qui a consacré un livre à cette histoire. « La grande question, c’est : que se passe-t-il dans la législation espagnole sur le regroupement familial qui pousse à recourir à des voies aussi désespérées ? », avait commenté la responsable du service des mineurs de la ville de Ceuta, Antonia Palomo, citée dans le livre.

Adou est arrivé sain et sauf en Espagne, où il rêvait de rejoindre ses parents. Mais trois mois plus tard, en août 2015, un Marocain de 27 ans était mort asphyxié dans une autre valise placée dans le coffre d’une voiture, sur un ferry reliant Melilla – l’autre enclave espagnole au Maroc – au sud de l’Espagne.

« Un trou noir dans notre parcours »

Le parquet réclame trois ans d’emprisonnement à l’encontre d’Ali Ouattara pour avoir facilité l’entrée irrégulière en Europe de son enfant en mettant sa vie en danger. Peu après le passage de son fils, M. Ouattara avait été arrêté au même poste-frontière de Ceuta, où il comptait le récupérer. Depuis, il explique avoir été « trompé » par le réseau de passeurs auquel il avait versé 5 000 euros et n’avoir jamais su que l’enfant serait caché dans une valise.

Selon lui, les passeurs avaient promis d’amener le mineur « par avion » d’Abidjan à Madrid avant d’annoncer qu’il passerait « en voiture » par Ceuta. « Pour nous, c’était une obligation que l’enfant vienne coûte que coûte : on ne pouvait pas vivre sans lui, on y pensait sans arrêt, répète M. Ouattara. Et s’il restait en Côte d’Ivoire, il n’avait plus personne pour s’occuper de lui après la mort de sa grand-mère. »

Ex-professeur de philosophie et de français à Abidjan, M. Ouattara est arrivé clandestinement en Espagne en 2006 à bord d’une embarcation de fortune pleine d’Africains. Ayant quitté la Côte d’Ivoire en pleine crise, il a mis des années pour obtenir un titre de séjour, un emploi stable et un logement aux Canaries, avant de réussir à faire venir légalement sa femme et leur fille. Mais pas son fils Adou, parce qu’il lui manquait « 56 euros par mois » pour atteindre les revenus exigés. « L’administration espagnole m’avait refusé quatre fois sa venue, plaide-t-il. Je gagnais plus de 1 300 euros par mois dans une laverie, mais ils disaient que ce n’était pas suffisant. »

Ecroué durant un mois en 2015, M. Ouattara vit dans le nord de l’Espagne, avec interdiction de quitter le pays. Sa femme, leur fille et Adou résident en France dans l’attente de la décision de justice. L’enfant devrait revenir à Ceuta pour le procès. « J’aurais préféré qu’il reste en marge, c’est un sujet dont il ne veut pas parler, aucun d’entre nous n’a vraiment accepté cette histoire, un trou noir dans notre parcours », dit le père, qui assure n’avoir qu’un souhait : « Que toute la famille puisse vivre ensemble. »

Depuis le 1er janvier, au moins 86 migrants sont morts en Méditerranée en tentant de gagner l’Espagne, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).