Editorial du « Monde ». Ce n’était donc pas un « bobard », une « fake news », comme n’a cessé de le clamer Donald Trump. La Russie a bel et bien tenté de peser sur le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2016 en tentant de discréditer la candidate démocrate, Hillary Clinton, au profit du magnat de l’immobilier new-yorkais.

Le document publié le 16 février par le procureur spécial chargé d’enquêter sur cette affaire, Robert Mueller, prend à contre-pied la stratégie de communication suivie pendant des mois par Donald Trump. Alors que plusieurs membres de son entourage sont soupçonnés d’avoir eu des contacts avec la Russie dans le dessein d’influencer le scrutin, le président élu avait qualifié ces accusations de « plus grande chasse aux sorcières de l’histoire des Etats-Unis ». L’enquête montre que la réalité est beaucoup plus compliquée.

La justice américaine accuse ainsi treize ressortissants et trois officines russes d’avoir utilisé des centaines de comptes sur les réseaux sociaux en se faisant passer pour des sympathisants de M. Trump dans le but de véhiculer des rumeurs infondées et de galvaniser la frange la plus contestataire de l’électorat.

Travail de sape

Cette opération montée par l’Internet Research Agency, une organisation fondée par Yevgeny Prigozhin, un oligarque proche de Vladimir Poutine, avait comme principal objectif « de semer la discorde au sein du système politique américain ». Qu’il s’agisse d’économie, de religion, d’immigration, de la question raciale, cette propagande s’est diffusée pendant des mois avec pour antienne la critique d’Hillary Clinton. Dans les dernières semaines de la campagne, le matraquage s’est intensifié dans les swing states, ces Etats capables de basculer d’un camp à l’autre à chaque élection.

Toutefois, il reste difficile de déterminer à quel point ce travail de sape a pu avoir un impact sur le résultat de l’élection. Cela n’en souligne pas moins la responsabilité de Facebook, Twitter ou Google dans le manque de contrôle de la diffusion de contenus destinés à parasiter un scrutin démocratique.

La bonne nouvelle pour M. Trump est que l’enquête n’apporte à ce stade aucune preuve qu’il y a eu collusion objective entre son équipe de campagne et les propagandistes russes. En revanche, que le président américain se soit arrêté à cette lecture est problématique. On l’a vu se féliciter sur tous les tons d’être disculpé et vitupérer contre les « attaques partisanes » et les « thèses farfelues ». On l’a vu se lancer dans un curieux mélange des genres en accusant le FBI de négligence dans la tuerie de l’école de Floride du 14 février, lui reprochant de « passer trop de temps à essayer de prouver la collusion russe avec la campagne Trump ». Mais, étrangement, la Russie reste épargnée par ses critiques.

On peut comprendre que M. Trump soit blessé dans son ego par le fait que son élection n’aurait pas été remportée à la loyale. Une telle tentative de déstabilisation de la part d’une puissance étrangère aurait dû, à tout le moins, appeler de la part d’un président en exercice une condamnation sans équivoque et des annonces pour éviter que de tels dérapages ne se reproduisent lors des élections de mi-mandat, en novembre prochain. Au lieu de cela, il préfère ironiser sur les polémiques partisanes aux Etats-Unis. « Ils sont morts de rire à Moscou. Réveille-toi, l’Amérique ! », a-t-il tweeté. C’est plutôt au président américain de ne plus fermer les yeux sur la gravité de cette affaires et de se concentrer sur la défense des intérêts de son pays.