« Wonderland ». / Yûsuke Ôsawa

Qui connaît Lacan connaît la dimension sombre attribuée par le psychanalyste décrié au personnage le plus célèbre de la littérature enfantine : Alice, cette petite Anglaise tombée sidérée dans un pays qui n’a de merveilleux que le nom. Sombre, sanglant, avec une teinte sinistre et en jupe courte, ce nouvel avatar japonais de l’héroïne rétrécie serait aussi un bon sujet d’étude pour la psychanalyse. Ce Wonderland, dont le premier tome est sorti en janvier aux éditions Panini – le deuxième est prévu le 3 mars – est surprenant à de multiples égards.

Pour la proximité avec l’œuvre de Lewis Carroll, on repassera. Le choix de ce prénom par une des deux héroïnes principales est purement anecdotique, le récit ne reprend en rien les péripéties de Carroll. Et c’est tant mieux. Comme pour marquer la distance entre les deux œuvres, l’auteur joue même à un curieux jeu de transformisme avec son Alice. Elle apparaît d’abord dans le manga dans un costume cosplay de super héroine pour s’habiller par jeu en costume d’Alice au pays des merveilles.

« Wonderland » / Yûsuke Ôsawa

Seul point de similitude, au-delà de ces clins d’œil : le rétrécissement de toute la population d’un quartier de Tokyo, au dixième de leur taille, sans raison explicable et avec tous les inconvénients que cela peut créer. Et il y en a beaucoup : ce premier volume est en fait une sorte de florilège des dangers qu’il y a à être petit. On en saura plus dans le second tome annoncé au mois de mars, pour cette série terminée en 6 volumes au Japon.

Mais la cruauté de ce premier épisode est déjà remarquable tant elle est appuyée. On est nettement dans un « survival », et rien n’est épargné à notre héroïne qui doit se confronter au monde animal soudain devenu incroyablement hostile, mais aussi aux éléments naturels et aux humains eux-mêmes qui ont basculé dans le chaos et la violence. Un constat de bêtise comportementale que l’auteur partage avec nombre de ses compatriotes si l’on en croit l’accroissement phénoménal du genre « survival » depuis quelques années.

Une planche de « Wonderland » de Yûsuke Osawa, aux éditions Panini. / Yûsuke Ôsawa

Le dessin de Yugo Ishigawa est très réaliste et figuratif, comme pour s’éloigner encore de l’onirisme que l’on pouvait trouver chez Carroll. Le réel est ici représenté littéralement, sans fioriture esthétisante. Le jeune mangaka japonais a bien retenu les leçons de Naoki Urasawa, le génial auteur de 20th Century Boys, dont il fut longtemps l’assistant. C’est ce même esprit réaliste que l’on trouvait aussi dans l’excellente série Sprite du même Ishigawa, et qui dessinait déjà un univers très noir et sans pitié.

Autre planche de « Wonderland » de Yûsuke Osawa. / Yûsuke Ôsawa

Un manga de Yûsuke Ôsawa, aux Editions Panini, 9 euros, 196 pages. Second volume le 3 mars 2018.