Le relais tricolore victorieux : Marie Dorin Habert, Anaïs Bescond, Simon Desthieux et Martin Fourcade. / FRANCK FIFE / AFP

« Il est pas mal, le fonds de commerce, il est pas mal ! » On ne sait pas si Fabien Saguez, le patron du ski français, parlait du biathlon ou de Martin Fourcade, lorsqu’il s’est jeté en prononçant ces mots dans les bras des entraîneurs de tir de l’équipe de France, Franck Badiou et Jean-Paul Giachino. Fourcade venait de blanchir sa dernière cible au tir debout et la France, dès lors, de s’assurer la médaille d’or du relais mixte olympique, mardi 20 février à Pyeongchang.

On ne sait pas de qui parlait Fabien Saguez, parce que le biathlon est devenu le fonds de commerce du ski français et que Martin Fourcade est le fonds de commerce du biathlon français. Le quadruple champion olympique a assumé son statut et livré sa course la plus aboutie depuis son arrivée en Corée du Sud pour concrétiser le travail de Marie Dorin, Anaïs Bescond et Simon Desthieux : et une qui font cinq médailles d’or. Ils sont encore six devant lui sur les tablettes mondiales, mais au Panthéon de l’olympisme français, il ne partage plus.

« Ils m’ont placé dans une situation idéale »

Le pauvre Allemand Arnd Pfeiffer, pour qui Martin Fourcade a eu un mot en conférence de presse, avait à ses trousses le Catalan des grands jours, celui « qui saute dans tous les sens », comme le dit Julien Robert, entraîneur de l’équipe féminine. Les bosses semblaient s’aplanir sur son passage et l’image fut terrible lorsque, dans la première pente suivant son tir couché, Fourcade reprenait et dépassait Pfeiffer, pris dans un courant d’air fatal. Il finira quatrième, à distance des Norvégiens et doublé pour le bronze par l’Italie à l’issue d’un sprint houleux et contesté, en vain.

Le champion olympique du sprint, neuf jours plus tôt, avait dû remplacer au pied levé Simon Schempp, malade. Une situation inconfortable qui a maintenu l’espoir du clan français alors qu’à la mi-course, après les impeccables Vanessa Hinz et Laura Dahlmeier, les Bleus comptaient 50 secondes de retard sur la meilleure nation de ces JO. Lorsque Fourcade est lancé par Simon Desthieux, il est encore à 32 secondes, en compagnie de l’Italie et la Norvège. Pfeiffer doit puiser dans deux balles de pioche pour blanchir sa cible et, après un sans-faute, le Français ressort presque dans ses skis.

« Comme sur la mass start, je me rends compte que je vais vite, se remémore Martin Fourcade. Mettre Pfeiffer dans la difficulté était la meilleure chance de le faire sauter sur le pas de tir. Ils m’ont placé dans cette situation idéale où on était quatre pour une place… Et, bizarrement, c’est le mieux placé qui passe à la trappe. C’est la magie du biathlon. »

Un dernier trou comblé au palmarès

Il y a quelque chose de magique, aussi, dans la façon dont le collectif français s’est sublimé au contact de son talisman. Marie Dorin, l’amie de la famille Fourcade à Villard-de-Lans, celle qui a vécu une riche carrière dans son ombre et qui, en méforme il y a un mois, pensait devoir renoncer à une sortie en apothéose ; Anaïs Bescond, la seule autre médaillée individuelle (bronze, en poursuite) du biathlon français à Pyeongchang, en difficulté physique depuis ; Simon Desthieux, « la boule au ventre et les jambes qui se durcissent » avant le départ, perdu derrière sa carabine depuis son arrivée en Corée du Sud.

Dorin et Desthieux, tous deux rapides à skis, ont tiré à 10 sur 10. Bescond a sauvé ce qui pouvait encore l’être en utilisant à bon escient ses trois balles de réserve au tir debout, s’évitant un tour de pénalité qui aurait été fatal à l’équipe.

« On n’a pas tenté de surjouer. On ne va pas passer dans les compiles de biathlon “Best shoot ever” sur YouTube, s’amuse Fourcade. On a été simples, on a été nous-mêmes, on a fait le biathlon qu’on maîtrise. »

Le quintuple champion olympique a franchi la ligne dans une relative décontraction, qui tranchait avec l’euphorie des trois autres néo-champions olympiques et d’un encadrement « aux yeux tout mouillés » (Julien Robert). Il a pris le trio dans ses bras comme l’aurait fait un père de famille, dans un sourire tranquille. Cette médaille en relais comble le seul trou qui restait à son palmarès.

« On sait qu’il finira le boulot »

Sa présence aurait pu avoir un effet inhibant ; elle a tranquillisé les trois autres relayeurs, dont chacun avait de bonnes raisons de se poser des questions sur son état de forme.

« Martin leur parle du relais depuis le printemps dernier. C’est revenu dans sa bouche régulièrement à tous les stages, raconte Stéphane Bouthiaux, le patron des équipes de France. Je ne sais pas si c’est ça, mais aujourd’hui ils ont tous retrouvé leur niveau derrière la carabine. Comme par hasard, c’est sur le relais. »

« On sait qu’il est là, qu’il finira le boulot, parce qu’il est tellement fort dans ces derniers tirs, c’est le seul à faire cinq sur cinq, confirme Simon Desthieux. Il oublie totalement l’enjeu de la course. C’est incroyable qu’il domine à ce point ses pensées. (…) Pour moi, le but, c’est de lui donner le relais au contact ou à peine derrière. C’est là qu’il est le meilleur, avec un tout petit écart à combler. Bon, aujourd’hui, il y avait plus qu’un petit écart, mais il a été suffisamment magique pour faire comprendre à Pfeiffer qu’il était là. »

Mardi soir, à Pyeongchang, la France pointait au cinquième rang au tableau des médailles des Jeux olympiques, devant les Etats-Unis. Un tiers d’entre elles venaient du biathlon, un fonds de commerce dont la valeur est indexée sur celle de Martin Fourcade.