Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron ont suivi leur entraîneur, Romain Haguenauer, à Montréal. / MLADEN ANTONOV / AFP

Lorsque les notes du programme libre de Madison Hubbell et Zacharie Donohue sont tombées, mardi 20 février, à l’épreuve de danse des Jeux olympiques de Pyeongchang, Romain Haguenauer était à leur côté. Sur le Kiss and Cry, banc où patineurs et entraîneurs attendent — scrutés par l’œil des caméras — le verdict des juges, l’entraîneur français s’est efforcé de calmer les sanglots de la jeune Américaine. Troisièmes à ce moment-là, et alors que les deux couples favoris devaient encore s’élancer, les jeunes patineurs savaient qu’ils avaient manqué le podium.

Quelques minutes plus tard, après le passage de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, le coach français, costume seyant et sourire confiant, était aussi à leur côté. Et avec eux, il s’est réjoui de leur note : avec 205,28 points, ses protégés avaient battu le record de danse sur glace. Un record qui tiendra la dizaine de minutes nécessaire au passage de Tessa Virtue et Scott Moir. Si l’entraîneur ne s’est pas assis à côté des désormais doubles champions olympiques, laissant la place à Marie-France Dubreuil et à Patrice Lauzon, il aurait pu y prétendre.

A 41 ans, Romain Haguenauer préside — avec ses deux partenaires canadiens qu’il a rejoints à Montréal — aux destinées de trois des quatre premiers de l’épreuve de danse sur glace aux Jeux olympiques. Une situation qui lui a fait dire son « sentiment mitigé » au sortir des programmes libres, « parce qu’à la fois content pour Tessa et Scott, déçu pour Gabriella et Guillaume et aussi content qu’ils aient tout donné. »

Choix de suivre « leur » coach à Montréal

Arrivé il y a quatre ans dans la cité québécoise, « par choix strictement personnel », l’entraîneur lyonnais pensait laisser en France ses élèves. Y compris les plus brillants, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, qu’il a pris sous son aile alors que le couple clermontois était respectivement âgé de 13 et 14 ans. D’abord pendant les vacances scolaires, puis à temps plein à Lyon. « J’ai fait ce choix de partir au Canada pour travailler, et il n’était pas question pour moi de les prendre, relate-t-il. Quand je leur ai annoncé les raisons pour lesquelles je partais, ils m’ont dit immédiatement “on est déjà venus depuis Clermont-Ferrand pour toi, on a vraiment confiance en toi, on souhaite continuer à travailler, donc on déménage avec toi au Canada”. »

Une décision que le couple est loin de regretter. Un an plus tard, ils jaillissaient sur la scène mondiale, devenant champions du monde et d’Europe « par surprise », raconte Cizeron. « C’est le moment où on a tout lâché pour nous dédier à notre carrière », explique Papadakis. Et leur coach voit comme « un déclic » pour eux de faire ce choix de partir. « Ça les a fait mûrir, ça les a professionnalisés et ça les a engagés à fond dans leur discipline avec les résultats qui ont suivi. »

Après avoir conservé leurs titres en 2016, Papadakis et Cizeron ont vu les choses évoluer avec notamment l’annonce du retour de retraite de Tessa Virtue et Scott Moir, champions olympiques à Vancouver (2010) et en argent à Sotchi (2014). Le couple canadien devient leurs camarades d’entraînement, en rejoignant également la structure mise en place par Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon, à Montréal. « Ça nous a un peu déstabilisés, et ils nous sont passés devant », reconnaissait Guillaume Cizeron en janvier.

Retraite annoncée de Virtue et de Moir

« Marie-France, Patrice et moi travaillons avec les trois couples, raconte Romain Haguenauer. Ce sont tous nos élèves. Ils sont camarades d’entraînement et quand ils se retrouvent en compétition, ils sont compétiteurs. » Comme ses ouailles, le coach précise que cette situation est assez banale dans le patinage artistique. Ainsi, le double champion olympique chez les hommes (2014 et 2018), le Japonais Yuzuru Hanyu, s’entraîne au quotidien avec l’Espagnol Javier Fernandez, double champion du monde et 3e à Pyeongchang. Pourtant, les Canadiens avaient connu pareille situation avant Sotchi ; et avaient mal vécu d’être dépossédés de l’or par leurs camarades d’entraînement, estimant parfois que leur entraîneur de l’époque, Marina Zoueva, « n’était pas dans [leur] camp ».

Outre « leur » entraîneur, les Français disposent au Québec de toute une équipe. « Au quotidien, c’est une journée quasiment complète de travail, confie Haguenauer, avant de préciser : Ils viennent à la patinoire à 8 heures, ils s’échauffent avec leur préparateur physique. Ensuite ils viennent sur la glace et je les ai pendant quatre ou cinq heures avec un break. Puis ils ont de la préparation physique tous les deux jours, ou des cours de danse ou de théâtre. »

Avant les Jeux olympiques, Gabriella Papadakis confiait que le couple était habitué à fréquenter le duo canadien, « plus les compétitions approchent, plus nous essayons de nous entraîner chacun de notre côté, plus pour se concentrer qu’en raison d’une rivalité ». Mais au sortir de leur programme libre, la médaille d’argent en poche, la jeune femme esquivait la question de la retraite annoncée de leurs vainqueurs du jour. « Oui, ils vont nous manquer », disait-elle dans un sourire et d’un air entendu. A compter des championnats du monde de 2018, en mars, ils devraient avoir leur coach rien que pour eux.