Depuis son ouverture, jeudi 15 février, la Berlinale s’est efforcée de faire toute sa place aux débats nés ou ravivés dans le sillage de l’affaire Weinstein. Cette volonté s’est manifestée par l’inclusion de deux rencontres consacrées l’une à la parité, l’autre au harcèlement et aux agressions sexuelles, dans le programme officiel du festival. Ce qui n’a pas empêché le directeur de la Berlinale, Dieter Kosslick, d’être interpellé au sujet de la présence au programme de la section Panorama de Human, Space, Time and Human, film du réalisateur coréen Kim Ki-duk qui a été condamné à une amende par la justice de son pays pour avoir giflé une actrice sur son plateau. Les mêmes magistrats ont classé sans suite la plainte pour agression sexuelle de la même actrice.

Lire le compte-rendu : Menu pantagruélique à la Berlinale

Ces débats, ces polémiques mettent en lumière les divisions de l’industrie cinématographique, particulièrement en Europe. Samedi 17 février, plus d’une centaine de professionnels se sont retrouvés pour débattre des moyens pour parvenir à l’égalité des genres dans la répartition des aides publiques. Neuf participants sur dix étaient des participantes, et l’Europe du Nord était surreprésentée. Parmi les intervenantes, la directrice de l’Institut suédois du film, Anna Serner, a proposé le modèle en vigueur dans son pays : l’argent distribué par son institution doit se répartir également entre réalisateurs et réalisatrices. A cette exigence, une autre s’ajoutera à partir de mars : les sociétés qui solliciteront des aides publiques devront, pour les obtenir, faire suivre à leurs dirigeants et à leurs employés une formation d’un jour sur le harcèlement, offerte par l’Institut suédois du film. Anna Serner n’a pas caché que cette dernière mesure avait suscité un tollé dans son pays, où elle a été accusée de faire entrer le « politiquement correct » dans le champ de la création.

De la Berlinale au Festival de Cannes

Dans le reste de l’Europe, ces mesures inspirent l’envie (des participantes à la rencontre) ou la dérision. Un distributeur français présent à Berlin estimait, au détour d’une conversation, la parité des aides inapplicable, faute de réalisatrices. En Suède, a expliqué Mme Serner, « les producteurs ont trouvé des femmes pour obtenir leur argent ». Quant à la France, aucune mesure concrète n’a suivi la signature par les organisations professionnelles de la « charte pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans le secteur du cinéma » en 2013, comme le faisait remarquer Bérénice Vincent, responsable des ventes internationales des Films du Losange, l’une des seules Françaises présentes à la rencontre du 17 février. Avec les membres de l’association Le Deuxième Regard, dont elle est l’une des fondatrices, elle prépare une initiative pour donner un contenu effectif à la charte, qui devrait être dévoilée dans les prochaines semaines.

La rencontre du 17 février s’est conclue par le lancement de SpeakUp, une structure en ligne destinée à soutenir les victimes de harcèlement et d’agression pendant les festivals de cinéma en leur proposant informations et écoute. A l’origine de cette initiative, la directrice de la société de ventes internationales Doc & Film, Daniela Eltsner, qui est l’une des seules professionnelles travaillant en France (elle est de nationalité allemande) à raconter publiquement, dans la publication professionnelle Screen International, avoir été agressée, par une figure connue de l’industrie cinématographique française, dont elle n’a pas donné le nom. « En France, ces histoires ressortent derrière des portes fermées », observe-t-elle. Forts du soutien de la Berlinale, les initiateurs de SpeakUp (outre Daniela Eltsner, le dirigeant de société de ventes internationales Jean-Christophe Simon et la réalisatrice polonaise Małgorzata Szumowska) comptent maintenant se tourner vers le Festival de Cannes.

Pour Dieter Kosslick, la décision de mettre en valeur ces débats allait de soi : en janvier, l’industrie allemande a été secouée par les révélations d’agressions sexuelles commises par l’un des producteurs de télévision les plus puissants du pays, Dieter Wedel, « le Weinstein allemand », estime le directeur de la Berlinale. Il a fallu ensuite traiter le cas Kim Ki-duk, en se procurant les attendus du jugement, et en les faisant traduire. « Je ne voulais pas me retrouver dans la position du censeur en retirant le film de la programmation », explique Dieter Kosslick pour expliquer que Human, Space, Time and Human n’ait pas été déprogrammé, avant de conclure : « Il nous faut trouver l’équilibre entre le débat et le spectacle ». Une exigence avec laquelle d’autres directeurs de festivals de cinéma devront composer.