Les députée Marie Guévenoux (La République en marche) et Marietta Karamanli (Parti socialiste). / Pierre Bouvier / Le Monde.fr

Les députées Marie Guévenoux (La République en marche) et Marietta Karamanli (Parti socialiste), répondent, mercredi 21 février, à vos questions lors d’un tchat du Monde.fr sur le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ».

Bully : La politique d’Emmanuel Macron en matière d’immigrés est jugée « trop laxiste » par 66 % des Français, selon un sondage de janvier. Pensez-vous que ce projet de loi réponde à ce jugement ?

Marie Guévenoux (La République en marche) : On ne gouverne pas en fonction des sondages. La réalité, c’est qu’on a une politique migratoire sur laquelle on a de très mauvais indicateurs, à la fois en matière d’accueil des demandeurs d’asile – quatorze mois en moyenne pour examiner une demande d’asile, c’est beaucoup trop –, des résultats peu satisfaisants sur la politique d’intégration et une politique d’éloignement qui, elle aussi, apparaît peu efficace – 15 % réellement effectués. C’est ce à quoi nous essayons de remédier.

Marietta Karamanli (Parti socialiste) : Je ne vais pas répondre à une question basée sur un sondage, mais plutôt évoquer les chiffres de la réalité de l’immigration : notre pays a accueilli, en 2016, 217 000 migrants (dont 73 000 sont des étudiants) et 88 000 autres étrangers au titre du « regroupement familial ». Ces deux catégories représentent 72 % de la délivrance des visas à durée limitée. La même année, notre pays a accordé sa protection humanitaire à 29 000 réfugiés, au moment où l’Allemagne en a fait bénéficier plus de 400 000. Ces chiffres relativisent la question de l’immigration et mettent en évidence les enjeux et les défis.

Rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile : Comment expliquez-vous la grogne des professionnels de l’asile (9e jour de grève à la CNDA mercredi) si ce n’est par l’absence de dialogue avec les véritables experts en amont du projet de loi ?

M. K. : J’ai auditionné hier une grande partie des associations sur le projet de loi présenté aujourd’hui au Conseil des ministres. J’ai pu mesurer la mobilisation et l’opposition de très nombreux acteurs sur ce texte, qui présente de multiples mesures policières, qui assure l’éloignement sans prendre en compte suffisamment l’intégration. Donc une situation qui risque de s’aggraver dans l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile, et des procédures qui alourdissent le travail des acteurs du secteur.

M. G. : Nous sommes, en France, face à un flux migratoire en hausse : de 2016 à 2017, la hausse des demandeurs d’asile est de 17 %, atteignant 100 000 demandeurs d’asile, dont il faudra examiner avec sérieux la situation personnelle. Dans le même temps, le gouvernement et la majorité à laquelle j’appartiens souhaite réduire fortement la durée de l’examen de la demande d’asile – de quatorze à six mois.

C’est donc normal que les professionnels se posent des questions quant à l’organisation concrète que cela va nécessiter ou quant aux moyens qui pourront être apportés. Ils seront reçus dans le cadre des auditions menées par les parlementaires lorsque nous examinerons en commission le projet de loi, mais il y a un objectif opérationnel auquel nous tenons et que nous mettrons en œuvre, qui est de réduire cette durée d’examen.

Maria : Réduire les délais pour examiner les demandes d’asile semble salutaire, mais peut aussi avoir des effets pervers. Pouvez-vous nous dire quelles conséquences (positives et négatives) ce raccourcissement des délais peut-il entraîner ?

M. G. : Le premier acte dans le parcours du demandeur d’asile, c’est d’abord un rendez-vous à la plate-forme des demandeurs d’asile, où il ne se passe rien d’autre que d’avoir un rendez-vous au guichet unique de la demande d’asile en préfecture. En Ile-de-France, cette étape, c’est trente à quarante jours, période durant laquelle un demandeur d’asile n’a parfois pas d’hébergement, pas d’aides, est inconnu des services de l’Etat. C’est un traitement dont on ne peut pas se satisfaire.

Une des conséquences positives de la réduction de cet examen, c’est par exemple de faire en sorte que ce rendez-vous soit tenu en quarante-huit heures. C’est d’ores et déjà le cas dans les centres d’accueil et d’examens de situations administratives (CAES), créés très récemment par le gouvernement.

M. K. : A travers ce texte, on constate une accélération des délais, la réduction de cent vingt jours à quatre-vingt-dix jours pour déposer une demande d’asile après l’entrée en France. Le dossier pourra être traité en procédure accélérée. Ce délai est désormais trop court, pour les migrants, pour apprendre en quoi consiste le droit d’asile, quels critères sont pris en compte, découvrir les démarches à entreprendre, chercher un abri, de quoi se nourrir et surtout trouver une plate-forme d’accueil (PADA) ou un CAES.

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a déjà fait d’énormes efforts pour répondre à cette demande de réduction des délais depuis plusieurs années. Le problème aujourd’hui se pose en amont et en aval de l’Ofpra : dans les préfectures et à la CNDA, qui voit, elle aussi, une réduction de délais imposée d’un mois à quinze jours. Le temps de trouver un avocat, une association pour accompagner la démarche, sans parler de la question d’aides juridictionnelles… cela rend toute la démarche impossible. D’autant qu’on a souvent affaire à des personnes qui ne parlent pas le français et ont des parcours difficiles. Il faut prendre en compte ces difficultés avant de parler de réduire les délais.

Pulp : La réduction des délais peut être une bonne chose, tant pour les immigrés que pour le pays. Mais des moyens supplémentaires seront-ils mis en place ?

M. G. : Le projet de loi de finances prévoit une hausse de 26 % des moyens budgétaires sur la mission immigration. Le gouvernement a annoncé la création de 185 emplois supplémentaires pour aider à l’enregistrement des demandes d’asile (en préfecture et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), et 66 créations à l’Ofpra et à la CNDA pour examiner les demandes.

M. K. : Il y a effectivement une hausse des crédits. Cependant, quand on ramène le nombre d’emplois supplémentaires – cent cinquante pour les préfectures –, cela donne à peu près un poste supplémentaire par préfecture. Ce n’est pas assez pour diminuer les délais. Quand on rapporte ces crédits au nombre de demandeurs d’asile annuels en France (environ 100 000), à peine 40 % voient leur demande aboutir. Au prorata, ça veut dire qu’on accorde 500 euros par individu pour ce qui est nécessaire à l’intégration.

Lesdroitsdel’hommepourceuxq… : Le projet de loi prévoit de pouvoir enfermer un homme ou une femme qui ne détient pas de papiers jusqu’à cent trente-cinq jours. N’est-ce pas beaucoup plus que pour de nombreux crimes et délits ? Et qu’est-ce qui différencie, selon vous, la prison d’un centre de rétention ?

M. K. : Ce projet de loi impose une extension de la durée maximale de la rétention, qui passe de quarante-cinq jours à quatre-vingt-dix jours, avec une possibilité d’extension jusqu’à cent trente-cinq jours. Cette durée pose problème : priver de liberté un individu ne répond pas aux standards des droits fondamentaux que doit respecter la France. Par ailleurs, amener des femmes et des enfants dans un milieu fermé n’est pas un moyen digne de répondre à leur problème. Il faut rappeler que le séjour irrégulier n’est pas un délit, selon notre droit.

M. G. : Concrètement, ce délai de rétention sert à interroger les pays d’origine afin d’obtenir un laissez-passer consulaire de l’étranger en situation irrégulière sur le territoire français. La plupart des pays répondent dans un délai très court. La moyenne d’une durée de rétention est de douze jours. Pour autant, certains pays ne sont pas en capacité de répondre dans ce délai de quarante-cinq jours, c’est précisément à cette réalité opérationnelle que nous souhaitons répondre.

Plouf : Au sein même du groupe LRM à l’Assemblée, des voix se font entendre contre ce projet de loi. Comment jugez-vous l’apparition de cette fronde au sein de la majorité ?

M. G. : Il n’y a pas d’apparition de fronde au sein de la majorité, il y a un débat interne, avec des expressions liées aux parcours et aux profils de chacun, qui sont normaux, et plus encore sur ce sujet. S’il n’y avait pas de débat sur un sujet aussi important, ce serait inquiétant. Les parlementaires feront le travail de parlementaires, ajouteront des choses, modifieront des choses, mais le texte sera voté par la majorité.

M. K. : J’ai connu, par un passé très récent, des frondes au sein des majorités. La question pour moi, c’est la capacité de la majorité et du gouvernement à traiter et à entendre ces voix qui soulèvent de vraies questions. Depuis 2003, notre pays a voté sept lois sur l’immigration et s’apprête à en voter une nouvelle. Cela veut dire une loi tous les deux ans sur le sujet.

Alex Vader : Quelle disposition prévoit le texte de loi concernant les procédures pour les mineurs non accompagnés ?

M. G. : A ce stade, ce n’est pas prévu dans ce texte. Le débat parlementaire permettra de l’évoquer.

M. K. : C’est un sujet qui doit être traité dans ce texte, selon moi, et dans des termes différents.

Lola : Le projet de loi semble régressif en matière de droits, on parle beaucoup de répression mais peu d’intégration, pourquoi ?

M. K. : Pour moi, ce texte présente surtout des mesures d’éloignement des demandeurs d’asile déboutés. Le volet intégration n’est pas suffisamment développé. En décembre 2016, Emmanuel Macron louait les « qualifications remarquables » de nombreux migrants. Je regrette ce double discours.

M. G. : D’abord, il y a une raison technique. Ce qui relève d’une meilleure intégration ne relève pas forcément du champ législatif. Le projet de loi comporte tout de même quelques dispositions qui contribuent à une meilleure intégration, comme l’extension du passeport talent, ou la transposition de la directive étudiants-chercheurs afin de mieux accueillir ce public. En dehors du projet de loi, il y a un certain nombre de choses dans le cadre notamment du rapport Taché qui vont viser à mieux intégrer les étrangers qu’on a décidé d’accueillir, comme l’enseignement du français. Nous devons aussi faire en sorte que les étrangers que l’on a décidé d’accueillir en France puissent bénéficier d’un meilleur accompagnement sur le logement et l’emploi.