A Hamouria dans la Ghouta orientale, l’enclave rebelle en périphérie de Damas, mardi 20 février. ABDULMONAM EASSA/AFP / ABDULMONAM EASSA/AFP

C’est un message audio lugubre, transmis par l’application WhatsApp, mardi 20 février. Un médecin y raconte les conditions de vie dans la Ghouta, au troisième jour de l’offensive aérienne menée par le pouvoir syrien et son allié russe contre l’enclave rebelle en périphérie de Damas, assiégée depuis cinq ans. « Bombes, missiles sol-sol, barils explosifs : le régime utilise toutes ses armes contre nous, témoigne le docteur qui se fait appeler Abou Ahed. Les gens sont terrés chez eux. Dans tous les quartiers, ça pue le sang. Même les animaux ont disparu des rues. »

Toutes les trente secondes environ, avec la régularité macabre d’un métronome, le fracas d’une explosion, plus ou moins lointaine, vient masquer sa voix. « Vous entendez ? Le scénario d’Alep est en train de se répéter », prédit le médecin en référence à la grande ville du nord de la Syrie, que les opposants avaient dû évacuer, en décembre 2016, après des mois de siège et de bombardements, suivis d’une offensive terrestre éclair. « C’est la même politique de destruction tous azimuts. Bachar [Al-Assad, le président syrien] veut briser notre esprit de résistance. Il veut nous expulser de la Ghouta. »

Les faits ne lui donnent pas tort. Depuis dimanche, au moins 250 civils, dont près de 60 enfants, ont péri sous des tirs d’artillerie et des raids aériens, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). C’est le deuxième pic de bombardements depuis le début du mois, après une première vague, entre le 5 et le 10 février, qui avait fait un nombre similaire de morts. Ce pilonnage est présenté par la presse prorégime comme le prélude à une opération de reconquête de la Ghouta, plaine agricole d’une centaine de km2, peuplée de 400 000 personnes, qui est l’ultime bastion rebelle aux portes de Damas.

Signe de la détermination du camp pro-Assad, l’aviation russe a repris du service dans cette région, dont elle était absente ces derniers mois. La banlieue orientale de Damas était intégrée dans l’accord de « désescalade », conclu en septembre par Moscou avec la Turquie et l’Iran, parrains respectifs des insurgés et du régime syrien. L’arrangement, qui prévoyait une réduction des hostilités et une arrivée d’aide humanitaire dans quatre zones aux mains de l’opposition, est resté peu ou prou lettre morte. Selon l’OSDH, les chasseurs-bombardiers russes ont notamment touché l’hôpital d’Arbin, l’un des plus importants de la Ghouta, désormais « hors service ».

Six autres centres de soins ont été visés par des bombardements, dont la moitié ont dû suspendre leurs opérations, selon un communiqué de l’ONU, publié mardi en début de soirée. Quelques heures plus tard, l’association d’aide médicale Syrian American Medical Society, très investie dans les territoires tenus par la rébellion, rajoutait six sites à cette liste, portant à treize, selon elle, le nombre d’établissements de santé endommagés ou détruits en l’espace de quarante-huit heures.

« Nettoyage ethnique »

Certains d’entre eux ont été touchés par des barils explosifs largués par hélicoptères. Une arme que l’armée syrienne s’abstenait d’utiliser dans la Ghouta ces dernières années, de peur que ses appareils ne soient touchés par des tirs venus du sol, et dont la réapparition signale le regain de confiance des autorités.

« C’est du nettoyage ethnique, accuse Amani Ballour, une pédiatre d’une trentaine d’années jointe par WhatsApp, quelques minutes après qu’une explosion a détruit le hall d’entrée de l’hôpital où elle officie et dont elle préfère taire le nom pour des raisons de sécurité. On s’est réfugié avec tous les blessés dans un couloir. On entend encore les avions dans le ciel. On sait qu’on peut mourir à tout instant. »

Cet acharnement sur les infrastructures civiles est un composant-clé de la stratégie contre-insurrectionnelle poursuivie par les autorités syriennes. Avant que les troupes progouvernementales ne pénètrent dans Alep-Est, place forte de la rébellion dans le Nord syrien, les hôpitaux de ces quartiers avaient été soumis à un déluge de feu similaire à celui qu’endurent aujourd’hui leurs homologues de la Ghouta. Comme à Alep, Moscou impute son intervention à la présence, dans la Ghouta, des djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham, proche d’Al-Qaida. Des combattants certes exclus du protocole de désescalade, mais totalement minoritaires sur le terrain, et dont les rebelles ont demandé le départ.

« Nous avons reçu entre 300 et 400 blessés depuis hier, et il y a de nombreux enfants parmi eux, s’indignait mardi un médecin de Kafr Batna, s’identifiant comme Abou Mohamed. Nous n’avons pas de problème avec le fait que le régime frappe les lignes de front, mais il faut qu’il arrête de bombarder les infrastructures et les civils. Il n’y a pas de combattants parmi les blessés que nous avons reçus. » Une partie des habitants a trouvé refuge dans les sous-sols : des caves, des tunnels de fortune, sans eau, ni électricité ni nourriture.

« Que fait le monde ? »

Dans une vidéo partagée sur un groupe WhatsApp, une femme assise dans un boyau souterrain explique qu’elle y est descendue après que son domicile et celui de ses beaux-parents ont été successivement bombardés. « Il fait très froid, on ne dort pas, on ne mange pas, nos enfants n’ont pas de lait, explique la jeune mère de famille, vêtue d’un voile noir intégral. Frères musulmans, où êtes-vous ? Que fait le monde ? » « On risque d’assister à un deuxième Alep et j’espère que nous avons tiré les leçons » de cet épisode, s’est alarmé en écho à ces suppliques Staffan de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie.

Son espoir risque d’être déçu. Le département d’Etat américain s’est borné à se dire « extrêmement préoccupé » et a appelé à un arrêt immédiat des violences. Même positionnement a minima pour Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, qui a fait part de sa « profonde inquiétude ». La Turquie, bien que partenaire de l’accord de désescalade, est restée muette, toute son attention étant concentrée sur l’offensive que mènent ses forces dans le secteur kurde d’Afrin, dans le coin nord-est de la Syrie.

La seule réaction véritablement forte est venue du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian. Celui-ci a mis en garde devant les députés contre un « cataclysme humanitaire » et a annoncé qu’il se rendrait dans les prochains jours en Russie et en Iran, les deux principaux soutiens du président Assad. Mais sans réengagement américain, la mobilisation de Paris a très peu de chances de déboucher sur des avancées.

Lundi, pressentant que les capitales occidentales n’ont ni les moyens, ni même pour certaines la volonté, de s’opposer aux desseins du camp prorégime, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a suggéré d’appliquer à la Ghouta « l’expérience de la libération d’Alep ». Incapables de résister à la poussée des forces loyalistes, les rebelles et leurs partisans dans cette ville avaient fini par être évacués par bus, sous la supervision de la Croix-Rouge, en direction d’Idlib, une province plus au sud, sous la coupe des djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham. Dans un rapport publié en mars 2017, l’ONU avait qualifié ce déplacement forcé de « crime de guerre ».

Nouvelle journée de bombardements meurtriers dans la Ghouta orientale, en Syrie