Les secousses du pétrole de schiste américain se font sentir jusqu’à Riyad et Moscou. Pour répliquer à la concurrence américaine qui avait fait chuter les prix du pétrole, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie avaient décidé en novembre 2016 de diminuer leur production pétrolière. L’objectif principal : faire diminuer l’offre et les stocks mondiaux et pousser à une remontée des prix.

Avec une discipline qui a surpris les observateurs, les membres du cartel pétrolier, la Russie et plusieurs pays de l’ex-espace soviétique ont réussi à réduire leur production. Avec à la clé un sérieux rebond du prix du baril de brut, passé de 42 dollars en juin à 62 dollars en février.

Certains des participants à cette alliance plaident désormais pour qu’elle prenne une forme plus permanente. Souhaïl Ben Mohamed Al-Mazroui, le ministre de l’énergie des Emirats arabes unis, qui préside cette année le cartel, a plaidé, mardi, pour que la prochaine réunion de l’OPEP, en juin, permette de prolonger l’accord de réduction de la production. Mais il a aussi défendu l’idée d’une coopération approfondie entre les membres de l’OPEP et la Russie.

« Si ce groupe de pays continuait à travailler ensemble dans le futur, cela serait bénéfique pour l’économie mondiale, et éviterait d’avoir des surprises importantes dans l’équilibre entre l’offre et la demande », a-t-il expliqué dans une interview à l’agence Reuters.

« Stabiliser le marché »

S’il a immédiatement précisé qu’il était trop tôt pour dessiner le cadre de cette coopération, ses déclarations ouvrent la voie à une collaboration plus étroite entre des pays qui se sont récemment trouvé des intérêts communs.

Fin janvier, les ministres saoudien et russe de l’énergie avaient déjà fait savoir sur Bloomberg TV qu’ils partageaient l’objectif d’une coopération de longue durée. « Historiquement, l’OPEP était assez influente pour contrôler seule le marché. Mais aujourd’hui, nous avons le sentiment qu’elle ne peut plus le faire seule », a admis le Saoudien Khaled Al-Faleh.

« Nous considérons que la coopération entre nos pays est une coopération de long terme », a abondé le ministre russe, Alexander Novak. « Les deux plus gros exportateurs de pétrole ne peuvent pas s’ignorer et peuvent travailler ensemble pour stabiliser le marché. »

Depuis le début des discussions entre l’OPEP et la Russie, les deux hommes forts du pétrole mondial se sont ostensiblement affichés ensemble lors des sommets du cartel.

Les dirigeants des pays concernés affirment qu’il ne s’agit pas de former un « super-cartel », qui agrégerait aux quatorze pays de l’OPEP la Russie et les pays qui lui sont proches. Mais la situation du marché pétrolier est telle qu’elle oblige les principaux acteurs à envisager des configurations qui auraient semblé rocambolesques il y a quelques années.

Ce rapprochement continu entre les deux géants pays pétroliers a surtout un objectif : contrer l’explosion du pétrole de schiste américain. Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie, les Etats-Unis devraient devenir en 2018 à la fois le premier producteur et le premier exportateur mondial de pétrole. Depuis 2014, l’émergence du schiste américain, l’offre pétrolière mondiale est abondante, et cela tire les prix à la baisse.

A l’époque, l’Arabie saoudite a espéré que des prix du baril bas obligeraient les producteurs américains à mettre la clé sous la porte. Mais ils ont tenu bon, en réduisant leurs coûts.

C’est tout le piège dans lequel se trouve l’OPEP : en diminuant leur production, les pays du cartel et la Russie ont certes contribué à faire remonter les prix. Mais cette hausse bénéficie également aux producteurs américains, qui se sont remis à forer de plus belle.

L’autre préoccupation des Saoudiens et des Russes est d’encourager le retour aux investissements dans l’exploration et la production, qui restent timides malgré la remontée des prix. Ils ont atteint 389 milliards de dollars au niveau mondial en 2017, selon l’étude annuelle de l’IFP Energies nouvelles. Un niveau qui reste très loin des 683 milliards de dollars de 2014.

Or, si les majors du pétrole ne reprennent pas, dans les années qui viennent, des décisions d’investissement importantes, l’offre de pétrole mondiale pourrait manquer.

Mais les deux pays ont aussi des objectifs de politique intérieure. En Arabie saoudite, seul un prix du baril élevé peut permettre au prince Mohammed Ben Salmane Al-Saoud de mener à bien son ambitieux programme de réformes, Vision 2030, et d’ouvrir dans des conditions favorables le capital de Saudi Aramco, le géant pétrolier du pays. En Russie, les sanctions occidentales durables et les difficultés économiques ont rendu encore plus essentiel pour Vladimir Poutine le fait de tout faire pour maintenir le prix du pétrole à un niveau élevé.

Si une telle alliance venait à voir le jour, elle poserait de sérieux problèmes stratégiques à l’allié majeur de l’Arabie saoudite, les Etats-Unis. A Washington, on verrait certainement d’un mauvais œil une structure permanente unissant Riyad et Moscou.