Des publications sponsorisées par la Russie ont été diffusées sur Facebook pendant la campagne présidentielle états-unienne. / LOÏC VENANCE / AFP

« Je voulais m’excuser d’avoir tweeté ma propre opinion sur l’ingérence russe sans l’avoir fait valider en interne. » Rob Goldman, cadre de Facebook chargé de la publicité, vient de vivre quelques jours difficiles. En cause, une série de tweets qu’il a publiés samedi 17 février, en réaction à l’inculpation par la justice états-unienne de treize Russes pour ingérence dans l’élection présidentielle. Le document d’accusation, très fourni, donne pour la première fois un aperçu du dispositif mis en place pour peser sur l’élection par l’entremise des réseaux sociaux, et notamment Facebook.

« Il reste des informations-clés sur les agissements russes qui n’ont toujours pas été bien comprises », écrit le cadre sur Twitter. « J’ai vu toutes les publicités russes et je peux dire avec certitude qu’influencer l’élection n’était *PAS* le principal objectif », assure-t-il, en référence aux publicités et publications sponsorisées financées par la Russie sur le réseau social visant le public américain.

« La majorité des dépenses publicitaires ont été faites APRÈS l’élection. Nous avons partagé cette information, mais peu de médias l’ont couverte parce qu’elle ne colle pas avec le discours dominant sur Trump et l’élection. »

Ces messages auraient pu passer relativement inaperçus. Mais c’était sans compter l’intervention du président des Etats-Unis lui-même qui, quelques heures plus tard, prit l’initiative de les partager sur son propre compte Twitter. « Les médias qui propagent de fausses informations ne nous déçoivent jamais. Difficile d’ignorer cette information de la part du responsable des publicités chez Facebook », a écrit Donald Trump en citant l’un des tweets de Rob Goldman. Plaçant immédiatement ce dernier, ainsi que son entreprise, dans un grand embarras.

Discréditer le procureur spécial

L’affaire est en effet gênante à plusieurs titres. Facebook, qui ne veut pas paraître partisan, se retrouve malgré lui associé à Donald Trump, qui utilise ces tweets pour défendre son propre intérêt – en tentant notamment de discréditer le travail du procureur spécial Robert Mueller, à l’origine de ce document, et qui enquête également sur une éventuelle collusion entre les proches de Donald Trump et la Russie.

Les messages de Rob Goldman tendent aussi, une fois récupérés par Donald Trump, à appuyer le discours récurrent du président états-unien sur les médias, qu’il accuse de propager des « fake news » – à l’heure où Facebook multiplie les annonces pour lutter contre les fausses informations, notamment en travaillant en partenariat avec des médias (dont Le Monde). Un chantier entamé après l’élection, durant laquelle ont circulé d’innombrables fausses nouvelles, majoritairement en faveur du candidat républicain.

Par ailleurs, les tweets de Rob Goldman se concentrent sur les publicités russes. Or, les contenus financés par la Russie qui ont circulé sur Facebook ne sont qu’une petite partie de la campagne menée par le Kremlin sur la plate-forme. Les publicités russes ont généré 11 millions de vues sur Facebook, tandis que les publications « normales », qui n’avaient pas été sponsorisées, ont de leur côté été vues 150 millions de fois.

« J’ai mal exprimé mes pensées »

Joel Kaplan, responsable des politiques publiques de Facebook aux Etats-Unis, a tenu, dans les colonnes du New York Times, à distancer l’entreprise de toute remise en question du document d’accusation du procureur spécial Mueller. « Rien de ce que nous avons trouvé ne vient contredire leurs conclusions. (…) Tout ce qui pourrait suggérer l’inverse est faux. »

Facebook est rarement confronté à ce genre de problème : la parole de ses cadres est généralement très policée et encadrée. Rob Goldman a d’ailleurs fini par s’excuser dans un message diffusé en interne chez Facebook, que le site spécialisé Wired a pu se procurer. « Ces tweets reflètent mon opinion personnelle et pas celle de Facebook. J’ai mal exprimé mes pensées. Le bureau du procureur spécial a bien plus d’informations sur ce qui s’est passé que moi – donc donner l’impression de contredire ses déclarations était une sérieuse erreur de ma part », a-t-il écrit, avant de présenter à nouveau ses excuses.