Leur but était d’apporter un témoignage et de provoquer un échange avant la présentation en conseil des ministres, mercredi 21 février, du projet de loi sur l’asile et l’immigration. Le 2 février, quatre réfugiés soudanais de Vichy, dont Le Monde suit l’intégration en France dans le cadre du programme Les nouveaux arrivants avec d’autres médias européens, ont remis une lettre d’information et de témoignages à Bénédicte Peyrol, députée La République en marche (LRM) de l’Allier.

« L’élue avait pris contact début janvier avec Réseau Vichy Solidaire, raconte Pablo Aiquel, journaliste et bénévole au sein de cette association. Lors d’une réunion rassemblant une vingtaine de réfugiés, quatre d’entre eux ont proposé de prendre la plume et d’expliquer à la députée leur parcours et les différents obstacles qu’ils ont rencontrés en arrivant en France. » Au sein du groupe, la discussion, en arabe, a duré près de deux heures. « J’étais assisté d’un traducteur et les idées fusaient dans tous les sens, se souvient Pablo Aiquel. J’ai rédigé la lettre en gardant l’esprit et le ton que les réfugiés voulaient lui donner. Ils l’ont ensuite validée. »

« Souffrances psychologiques »

Le message se compose de trois parties. En guise d’introduction, il y a d’abord des remerciements. « Nous voulons dire merci, un grand merci à la République française, pour l’accueil qui nous est proposé et pour la protection qui nous est assurée ici, écrivent les Soudanais. Ensuite, nous voulons remercier le peuple français. Partout où nous sommes allés, il y a eu des gens pour nous aider et nous accompagner… Partout, il y a des gens de bonne volonté. »

Emmenés par Issam Othman, arrivé en France en 2000 et considéré comme le grand frère du groupe, Ahmed, Ali et Mohamed ont ensuite donné des précisions sur les deux statuts qu’ils ont connus : celui de demandeur d’asile puis celui de réfugié. Pour obtenir le second, ils estiment que le délai est trop long : « C’est beaucoup d’attente sans aucun droit. On n’a pas le droit de travailler, pas de cours de français ou seulement avec des bénévoles, quand il y en a. Attendre sans savoir ce que l’on va devenir, sans savoir si l’on va être accepté ou non, c’est psychologiquement très difficile. Cette attente fait souffrir les gens… On pensait qu’une fois qu’on serait accueillis, les souffrances allaient s’arrêter, mais en fait elles continuent, d’une façon psychologique. »

Dans le projet loi sur l’immigration présenté par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, la procédure de demande d’asile devrait être réduite à six mois (contre des délais pouvant atteindre neuf mois actuellement en cas d’appel de la décision) afin de mieux accueillir les réfugiés et de renvoyer les déboutés. Globalement, le gouvernement va durcir le droit des étrangers. Le franchissement illégal de frontière sera ainsi sanctionné pénalement et les sans-papiers seront passibles de cinq ans d’emprisonnement.

Dans leur lettre, les quatre hommes, qui ont connu le squat du lycée Jean-Quarré, dans le 19e arrondissement de Paris, avant de rejoindre le centre d’accueil et d’orientation de Varennes-sur-Allier, racontent leur passage en Libye et le travail qu’ils ont dû parfois accomplir avant de traverser la Méditerranée. « Là-bas, nous sommes traités comme des esclaves, dénoncent-ils. Si nous pouvons récupérer de l’argent, il faut payer les passeurs. »

« Nous avons envie de travailler »

Dans la dernière partie, ils font part de leur incompréhension face à la bureaucratie : « Elle est infertile. Il faut valider des choses sur l’espace personnel de Pôle Emploi alors que certains n’ont pas d’ordinateur… Il est illogique de bénéficier de 200 heures de cours de français avec l’OFII [Office français de l’immigration et de l’intégration] puis de rester toute l’année sans rien faire, à attendre des papiers. Il y a de l’iniquité dans l’attribution des formations. Certains ont bénéficié de quatre ou cinq formations de français en un an, d’autres d’une ou d’aucune. » Ce qu’ils déplorent, c’est l’oisiveté et le manque d’accès à l’emploi. « Le principal problème, c’est qu’il est difficile de commencer à travailler, affirment les réfugiés. Nous avons envie de travailler ! Pour certains, ça va faire trois ans que nous sommes en France et toujours rien ! »

Le manque de renseignements sur l’accès à l’emploi leur pèse. Ils souhaiteraient savoir comment on ouvre un commerce, recevoir des informations sur la différence entre un contrat d’insertion et un contrat d’apprentissage, par exemple. La difficulté d’accéder à un logement, ajouté au manque d’activité professionnelle, est selon eux ce qui pousse beaucoup de réfugiés à continuer leur route jusqu’au Royaume-Uni. « Tous les réfugiés communiquent beaucoup entre eux, par le bouche-à-oreille, par les réseaux sociaux, expliquent-ils. Nous pensons que beaucoup de gens vont encore à Calais parce qu’ils entendent des messages comme le nôtre : c’est trop long pour travailler en France et donc ils préfèrent partir. »

La lettre a été remise le 12 février dans les locaux de Bénédicte Peyrol à Vichy. Les quatre réfugiés, accompagnés par d’autres membres de l’association Réseau Vichy Solidaire, ont eu un entretien d’une quarantaine de minutes avec l’élue. Ils auraient souhaité lui lire leur lettre, mais le temps a manqué. « Le message est clairement passé à l’écrit et il est touchant, affirme la députée. Ce remerciement à la République française est important. »

Ont-ils été entendus ? « Les propositions contenues dans le rapport du député Aurélien Taché [sur l’intégration des réfugiés, remis lundi au gouvernement] me semblent correspondre aux différents points soulevés dans la lettre, répond la députée de l’Allier. Il y a notamment l’accélération de l’apprentissage du français, le bilan de compétences… » Bénédicte Peyrol affirme garder cette lettre avec elle parce qu’elle lui « donne envie de porter encore plus fort le message des réfugiés ». Les auteurs devraient être reçus vendredi par Eric Gold, sénateur du Puy-de-Dôme.