L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Mary et la fleur de la sorcière est le premier long-métrage d’animation à sortir des ateliers du tout jeune studio Ponoc (d’après le serbo-croate ponoc signifiant « aube »), constitué en majeure partie de transfuges du studio Ghibli, réduits au chômage technique après l’annonce, en 2014, de l’arrêt de la production. Et sans doute fallait-il en passer par cette nouvelle structure pour que de jeunes auteurs sortent enfin de l’ornière intimidante des deux grands maîtres, Hayao Miyazaki et Isao Takahata, cofondateurs de Ghibli, qui ont régné économiquement et symboliquement sur l’animation japonaise pendant plus de trente ans.

Pour son réalisateur, le talentueux Hiromasa Yonebayashi (Arrietty. Le petit monde des chapardeurs, 2010), âgé de 44 ans, disciple de Miyazaki depuis Le Voyage de Chihiro (2001), l’enjeu est de taille : lancer le studio et conjurer l’échec commercial de son précédent film, Souvenirs de Marnie (2014), belle œuvre tortueuse et sous-estimée, qui restera comme la toute dernière production Ghibli, celle qui ne sera pas parvenue à remettre le studio sur les rails.

Adapté d’un roman pour enfants britannique, ce film se présente sous le double signe du renouveau et de la continuité

Adapté comme son prédécesseur d’un roman pour enfants britannique (The Little Broomstick, « le petit balai », de l’Ecossaise Mary Stewart, ­Hodder Children’s Books, 2006, non traduit), Mary et la fleur de la sorcière se présente ainsi sous le double signe du renouveau et de la continuité.

Mary, une petite fille rousse coiffée de couettes, passe l’été dans la maison de campagne de sa grand-mère, où elle s’ennuie. Un chat du voisinage la conduit à l’orée de la forêt, sur la piste d’une fleur mystérieuse, la « Vol de nuit », qui lui donne le pouvoir de s’envoler sur son balai. Elle découvre alors, au milieu des nuages, le palais d’Endor, qui renferme une école de magie et abrite, dans le secret de ses murs, de curieuses expériences.

Une fantasmagorie grippée

Après une ouverture époustouflante d’allant romanesque et de dynamisme pictural (l’échappée d’une sorcière hors de l’enceinte d’Endor), la suite retombe sur un territoire plus balisé, coincé quelque part entre l’héritage du Studio Ghibli (le souvenir de Kiki la petite sorcière, en 1989 ; la tradition entretenue des décors peints à la main) et une destination plus ouvertement commerciale, liée notamment à l’univers de l’académie de magie, qui fait inévita­blement penser à la saga Harry ­Potter, d’après les ouvrages de J. K. Rowling. Et si le film peut évidemment se voir comme l’une de ces belles fables initiatiques, sur les rapports réciproques de l’enfance et de l’imaginaire, celle-ci débouche sur une fantasmagorie grippée, dont l’aspect bancal n’est pas seulement imputable à son budget réduit et à ses courts délais de fabrication.

En effet, l’académie d’Endor, royaume de l’imaginaire, contient son lot de créatures et de chimères fantastiques, qui n’ont pourtant rien à voir avec l’animisme bien connu d’un Miyazaki (le bestiaire du Voyage de Chihiro).

Fruits d’expériences et de manipulations, ces figures accablent l’exercice de la magie comme une volonté de toute-puissance qui éloigne les hommes de la nature. Ici, l’imaginaire est clairement disqualifié au profit du réel environnant, déjà prodigue en formes infinies et en distractions renouvelées, si tant est qu’on veuille bien l’habiter pleinement. Film étrange et pourtant passionnant que celui-ci, qui en passe par les détours trompeurs de la fantasmagorie pour inviter enfants et parents, simplement, à poser un regard sur le monde alentour.

MARY ET LA FLEUR DE LA SORCIÈRE - Bande annonce
Durée : 01:42

Film d’animation japonais d’Hiromasa Yonebayashi (1 h 42). Sur le Web : diaphana.fr/film/mary-et-la-fleur-de-la-sorciere