Devant le pôle santé du tribunal de grande instance de Paris, mercredi 21 février. / Stéphane Mandard

Marie-Odile Bertella-Geffroy connaît bien le 5-7, rue des Italiens. Pendant des années, c’est là, dans ce quartier du 9e arrondissement de Paris, à son bureau du 1er étage, qu’elle instruisait ses dossiers. Mercredi 21 février, l’ancienne patronne du pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris est retournée rue des Italiens. Pour présenter des demandes de constitution de partie civile dans ses nouveaux habits d’avocate.

« La demande a été acceptée, un juge d’instruction va enfin être désigné », lance-t-elle à ses clients en sortant du tribunal. Maître Bertella-Geffroy défend les riverains de l’ancien site industriel Wipelec, à Romainville, en Seine-Saint-Denis. En juin 2016, l’ex-magistrate avait déposé plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui au nom d’une trentaine de propriétaires et de deux associations (Romainville Sud et Environnement 93). Ils reprochent à la société Wipelec, qui a cessé ses activités (traitement de surface des métaux pour l’aéronautique) en 2003, d’avoir abandonné le site sans le dépolluer. Située au milieu des habitations, l’installation est classée à risque pour l’environnement en raison des produits toxiques qui y ont été manipulés et entreposés pendant des années.

Dès 2011, un arrêté préfectoral relève pourtant « l’existence de pollution par des composés organiques volatiles halogènes [COHV], du cyanure, des hydrocarbures et des métaux lourds dans les sols et les eaux souterraines », et mentionne « une extension probable au-delà des limites de propriété du site ». En 2016, un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) confirme « la présence de trichloroéthylène dans l’air intérieur des pavillons riverains, due aux anciennes activités du site ». Le trichloréthylène est un solvant chloré utilisé principalement pour le dégraissage et le nettoyage des métaux. Il est classé cancérogène pour l’homme.

« 23 cancers dont 21 décès autour du site depuis 1990 »

Pour les associations de riverains, il ne fait pas de doutes que ces polluants sont à l’origine des « nombreux décès et cancers repérés dans le quartier ». Elles ont décompté « 23 cancers dont 21 décès autour du site depuis 1990 ». Les habitants du quartier des Ormes ne comprennent pas que la dépollution du site n’ait débutée qu’en mai 2017. Et ils s’inquiètent désormais que ces travaux de dépollution génèrent un regain de pollution dans le quartier. Des niveaux de trichloroéthylène 140 fois supérieurs aux normes (2 µg/m3) ont été mesurés en décembre 2017 dans certains logements. Soixante-dix habitations seraient concernées par des dépassements plus ou moins importants.

Le dirigeant de Wipelec, Guy Pelamourgue, n’était pas convié jeudi devant le pôle santé. Contacté par Le Monde, il estime que « le site aurait été dépollué en 2004 si la mairie n’avait pas bloqué ce dossier ». Le promoteur immobilier Gingko, qui a engagé les travaux de dépollution, a acquis les terrains en 2014. Surtout, M. Pelamourgue assure que « l’activité de Wipelec n’a duré qu’un an sur ce site et n’a généré aucune pollution » à Romainville. « Cette pollution, que je ne nie pas, est très ancienne. Elle remonte à l’UMM, qui a exploité le site de 1929 à 1977. Cette société utilisait du cyanure, du cadmium et du trichloroéthylène pour fabriquer des vannes pour le gaz, argumente le patron de Wipelec qui reconnaît seulement l’usage de trichloroéthylène, « mais dans des quantités extrêment faibles ». Ce qu’omet de préciser le dirigeant, c’est que Wipelec fait l’objet d’arrêtés préfectoraux à répétition pour des problèmes de pollution sur tous les sites où elle a déménagé ses activités : Lagny-sur-Marne, Pomponne et désormais Meaux.

« Ce cas n’est malheureusement pas isolé dans le département »

Ce qui fait dire à la député (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis Sabine Rubin qu’« il est grand temps de tourner la page d’un modèle économique ruineux et dangereux pour notre santé ». L’élue était aux côtés de Marie-Odile Bertella-Geffroy, jeudi, pour dénoncer le « désastre écologique » de Romainville et soutenir les riverains « face aux effets délétères de cette pollution qui empoisonnent leur vie et leur santé ». Mme Rubin promet d’interroger le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, jeudi 22 février à l’Assemblée nationale, « pour que l’Etat prenne toute sa responsabilité face à un péril caractérisé relevant expressément d’un enjeu de santé publique ».

L’élue de Seine-Saint-Denis sait que « ce cas n’est malheureusement pas isolé dans [le] département ». Jeudi après-midi, devant le 5-7, de la rue des Italiens, il y a aussi des habitants de la commune voisine de Montreuil. Eux réclament depuis la rentrée scolaire la fermeture de la vétuste usine SNEM située à quelques dizaines de mètres d’un groupe scolaire. « Nous avons en commun d’être intoxiqués depuis plusieurs décennies par des installations classées à risque pour l’environnement », explique Nicolas Barrot, un des membres du collectif montreuillois. Wipelec et la SNEM, également spécialisée dans le traitement de surface des métaux pour l’industrie aéronautique, ont aussi en commun d’avoir travaillé pour le même donneur d’ordre, Safran.