Andrew Pollack, père d’une victime de la tuerie du lycée de Parkland, le 21 février à la Maison Blanche. / Carolyn Kaster / AP

Qui aurait pu prédire que le 21 février deviendrait l’une de ses journées où tout un pays s’oblige, l’espace de quelques heures au moins, à un examen de conscience ? Une semaine après la fusillade du lycée de Parkland en Floride, dans laquelle dix-sept personnes ont été tuées par un jeune homme de 19 ans, la tension ne retombe pas aux Etats-Unis.

Dans un pays pourtant habitué aux tueries de masse, le débat sur le contrôle des armes, d’ordinaire rapidement éteint, prend de l’ampleur depuis le début de la semaine. Alimenté par les proches des victimes de Parkland et des groupes de jeunes lycéens et étudiants, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer « le changement ».

Mercredi, depuis la Maison Blanche, la Floride mais aussi sur le plateau de CNN et dans les pages des principaux quotidiens, les interventions se sont multipliées pour appeler le pays et la classe politique à faire évoluer la législation.

  • « Combien d’enfants vont devoir tomber sous les balles ? »

C’est d’abord à Washington que Donald Trump a été interpellé. Le président américain, qui a par le passé affirmé aux membres de la National Rifle Association (NRA), puissant lobby des armes, qu’ils avaient « un vrai ami à la Maison Blanche », recevait mercredi des étudiants de différentes écoles endeuillées par les armes et des parents de victimes.

Dans le vaste salon de la Maison Blanche, tous ont raconté leur douleur et leur détresse, mais le long témoignage d’Andrew Pollack, dont la fille de 18 ans, Meadow, a été tuée de neuf balles au lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland le 14 février, a plongé la salle dans un silence total. 

« Je ne reverrai jamais ma magnifique fille », a-t-il lancé, les mâchoires serrées de douleur, entourés de ses fils retenant leurs larmes. « Elle n’est pas là. Elle est à North Lauderdale, au cimetière King David : c’est là qu’aujourd’hui je vais pour voir mon enfant. »

« Combien d’écoles ? Combien d’enfants vont devoir tomber sous les balles ? En tant que pays, nous avons échoué à protéger nos enfants. Cela ne devrait pas se produire. Je suis très en colère. (…) S’il vous plaît, M. Trump, il faut du bon sens ».

"My daughter has no voice. She was murdered last week." (C-SPAN)
Durée : 05:19

  • « Cela s’appliquerait uniquement aux enseignants sachant manier une arme »

De son côté, Donald Trump, aidé par une antisèche moquée pour sa simplicité, a tenté mercredi d’apaiser la colère de ses interlocuteurs, en les écoutant sans les interrompre. « Nous allons y aller très fort sur les vérifications d’antécédents », a promis le président américain, affirmant également vouloir de la « fermeté » sur l’âge légal pour acheter une arme à feu.

Mais le président américain a surtout alimenté le débat en affirmant envisager d’armer les enseignants pour protéger les élèves en cas d’attaque. « Evidemment, cela s’appliquerait uniquement aux enseignants sachant manier une arme », a-t-il concédé, en suggérant d’armer 20 % des effectifs des équipes pédagogiques. « Ils pourraient stopper très rapidement une attaque qui dure en moyenne trois minutes alors qu’il faut entre cinq et huit minutes à la police pour intervenir », a affirmé le président.

Pour empêcher les tueries, Trump souhaite armer les enseignants
Durée : 00:49

Une proposition rejetée par une partie de son propre camp politique, à commencer par le sénateur républicain de Floride Marco Rubio, qui s’exprimait mercredi sur CNN :

« Imaginez qu’au milieu d’une crise, les forces de l’ordre arrivent pour intervenir et qu’elles voient un adulte avec une arme dans les mains… Peut-être qu’elles ne pourraient pas savoir qui est qui, et on risquerait une tragédie supplémentaire et inutile… »
  • « Plus jamais je ne devrais ressentir la culpabilité d’être en vie »

Des centaines de personnes, dont de nombreux lycéens et étudiants de Parkland, ont convergé mercredi vers le siège du Parlement de Floride, à Tallahassee. Une « marche pour la vie » lancée à l’initiative de survivants du massacre, qui a été l’occasion de nouvelles prises de parole publiques pour appeler à un renforcement de la législation sur le contrôle des armes.

Sarah Chadwick, élève de première au lycée Marjory Stoneman Douglas, s’est notamment avancée sur la scène pour dire « plus jamais », dans une anaphore qui a ému le pays tout entier :

« Plus jamais un enfant ne devrait avoir peur d’aller à l’école. Plus jamais des étudiants ne devraient avoir à manifester pour protéger leurs vies. Plus jamais une vie innocente ne devrait être volée au moment où elle est censée s’éduquer. Plus jamais je ne devrais ressentir la culpabilité d’être en vie. »

Une autre élève du lycée, Sheryl Acquaroli, a ensuite crié toute sa colère, demandant au Parlement de Floride d’agir :

« Comment pouvez-vous prétendre défendre le peuple quand vous laissez ses enfants être abattus comme des animaux dans leur propre école ? Pourquoi, à chaque fois que la société fait un pas en avant, nous obligez-vous à reculer ? La prochaine personne qui mourra sous les balles d’un AR-15… ce sera de votre faute. »
  • Deux associations publient la liste des parlementaires financés par la NRA

En soutien à ces mouvements de la jeunesse américaine, deux ONG anti-armes ont publié mercredi dans le New York Times une double page de publicité qui dresse la liste des parlementaires américains ayant reçu des dons financiers de la part de la NRA ces dernières années tout en refusant de voter pour un contrôle des armes à feu. A côté du nom de chaque élu figurent le montant de la donation reçue, ainsi que leur numéro de téléphone.

  • « Quelle est votre définition d’une milice bien organisée ? »

Mercredi soir, la chaîne de télévision CNN a quant à elle organisé un grand débat durant lequel des élèves, parents et professeurs du lycée de Parkland ont pu interpeller les sénateurs locaux, parmi lesquels Marco Rubio – Donald Trump, invité, avait décliné.

C’est Diane Wolk-Rogers, professeure d’histoire au lycée de Parkland, qui a marqué les esprits en revenant à l’essence même du deuxième amendement de la Constitution américaine, que le lobby pro-arme ne cesse de brandir pour justifier le droit de chaque Américain à s’armer :

« Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. »

« Quelle est votre définition d’une milice bien organisée ? », a lancé Diane Wolk Rogers à la porte-parole de la NRA, Dana Loesch. « En donnant des arguments précis, expliquez-moi comment un enfant de 18 ans avec un fusil d’assaut militaire est “bien organisé”. »

Une sortie à laquelle Dana Loesch a eu quelque difficulté à répondre, affirmant, en citant le père de la déclaration des Droits – texte fondateur de la nation américaine –, George Mason (1725-1792), que « la milice c’est tout le peuple », donc c’est, selon elle, « chaque homme et chaque femme ». La porte-parole de la NRA a été copieusement huée.

Shooting survivor confronts NRA's Loesch
Durée : 11:26