Marion Maréchal-Le Pen à Oxen Hill, dans le Maryland, le 22 février. / JIM WATSON / AFP

« Make France great again ! » Devant la crème des conservateurs américains, jeudi 22 février, Marion Maréchal-Le Pen a réussi une première union : l’alliance des mots clefs du Front national (FN), à celle des formules trumpiennes.

« Je ne suis pas choquée quand Donald Trump dit “l’Amérique d’abord’” Je veux l’Amérique d’abord pour les Américains, la Grande-Bretagne d’abord pour les Britanniques ; la France d’abord pour les Français ! », a-t-elle lancé, en anglais, à la Conservative Political Action Conference (CPAC) – le grand rendez-vous des conservateurs américain, dans le Maryland.

Taclant ici l’Union européenne « tueuse de nations millénaires », décrivant là une « France, fille aînée de l’Église catholique, en train de devenir la petite nièce de l’islam », celle qui incarnait la ligne identaire du parti d’extrême droite, avant son départ, a fait un discours plus que remarqué de part et d’autre de l’Atlantique.

« Il ne faut jamais sous-estimer le peuple. Le Brexit en Grande-Bretagne, la Manif pour tous en France, et bien sûr l’élection de Donald trump… Vous avez réussi à remettre le conservatisme au sommet de l’agenda. (… ) Je suis venue vous dire qu’il y avait, en France, une jeunesse conservatrice prête au combat. »

Une tirade d’une dizaine de minutes, digne du meeting d’un candidat en campagne.

Halte-là.

Depuis l’annonce, mardi, de la virée outre-Atlantique de la nièce de Marine Le Pen, les gardes rapprochées des deux femmes tentent de briser les espoirs naissants. « Marion a eu la délicatesse de prévenir Marine Le Pen et de lui dire précisément qu’elle ne souhaitait pas que son initiative personnelle et d’ordre professionnel soit vue comme un retour en politique », précisait le porte-parole du FN, Sébastien Chenu, lors d’un point presse à l’Assemblée nationale, la veille du fameux discours.

« Fantasmes »

Même déminage du côté des proches de Marion Maréchal-Le Pen. « Vous allez être déçus. Ce. N’est. Pas. Un. Retour. En. Politique », ressassait son ancien directeur de la communication, Arnaud Stephan, son téléphone sonnant en continu sous la même question : « Alors, elle revient quand ? ». Les « fantasmes » autour d’un hypothétique come-back le faisaient bien sourire, mais puisqu’il faut le répéter encore, ce « mariono-marioniste » – dixit sa biographie Twitter – se collait au service :

« Elle est à peine partie, vient de lancer son projet d’école. Il faut arrêter d’imaginer qu’elle va se représenter demain matin à une élection. »

En parallèle à son sermon américain, l’ex-députée FN du Vaucluse signe en effet une tribune dans Valeurs actuelles, jeudi, dans laquelle elle annonce sa participation à « la création d’une académie de sciences politiques » pour « détecter et former les dirigeants de demain ». Là encore, rien à voir avec le Front national, avertit Marion Maréchal-Le Pen sans citer le nom du parti d’extrême droite : son projet « n’est rattaché à aucun parti politique et ne sert aucun d’eux ». Elle qui défend dans les colonnes de l’hebdomadaire droitier la « mission » de « la jeunesse conservatrice » imagine son école comme « le terreau dans lequel tous les courants de la droite pourront se retrouver et s’épanouir ». Il n’en fallait pas plus pour que certains voient, là encore, la renaissance d’une figure de proue de « l’union des droites ».

Halte là, bis repetita. Cette visite outre-atlantique n’est pas destiné à entrer dans la politique par la fenêtre, mais à « s’inspirer de la vie associative américaine », insiste François de Voyer, le président du collectif frontiste Audace qui l’accompagne aux Etats-Unis. Tout en applaudissant une « réussite » de Donald Trump, « faire l’union de courants très différents », le compagnon de voyage de Marion Maréchal Le Pen résume : pour elle, terminée la politique électorale. Celle-là même qui a échoué à installer le FN au pouvoir. « Marion Maréchal Le Pen est populaire à droite bien au-delà du FN. Alors si par la société civile s’ouvrent des discussions qui n’existaient pas entre responsables politiques… » Car l’objectif est bien là : « casser les barrières à droite ». L’union, sans passer par la case élection.

Coup de grâce pour Marine Le Pen

Mais Marion Maréchal-Le Pen a beau invoquer la « métapolitique », conserver épinglée tout en haut de son compte Twitter la lettre expliquant les raisons de son départ… Rien à faire. Depuis mardi, les comptes siglés FN crient au « she’s back » sur les réseaux sociaux ; les chaînes d’information en continu passent leurs journées à débattre sur son « grand retour », avec ou sans point d’interrogation ; la presse disserte sur « l’ombre » de la nièce sur la tante. Voilà le tapis rouge déroulé à Marion Maréchal-Le Pen des deux côtés de l’Atlantique.

D’autant que l’ex benjamine de l’Assemblée, élue députée à 22 ans, était invitée à discourir juste après le vice-président américain Mike Pence. Le lendemain, à la même tribune, lui succédera rien de moins que Donald Trump. Coup de grâce pour sa tante, qui avait échoué à se faire adouber par celui-ci, il y a un an.

En janvier 2017, à quelques jours de l’intronisation du nouveau président américain, la dirigeante du parti s’était en effet rendue à la Trump Tower, entretenant le mystère autour d’une certaine « visite privée ». Celle-ci avait en réalité lieu avec George Lombardi, ancien représentant outre-Atlantique de la Ligue du Nord, le parti xénophobe italien, et contact habituel du FN aux Etats-Unis. A l’issue de la virée américaine de Marine Le Pen, aucune poignée de main fortuite avec Donald Trump, et même un détour délibéré de son porte-parole, venu informer les journalistes qu’elle ne rencontrerait ni M. Trump ni aucun membre de son équipe.

« Marion peut revenir si elle veut »

Au FN, officiellement, personne ne fulmine. Pas même sa présidente à la peine, à moins de trois semaines du congrès du parti. Les ténors, exceptée la première d’entre eux, se succèdent pour sourire à l’heureuse nouvelle. Le secrétaire aux fédérations, Jean-Lin Lacapelle estime ainsi « très bien que Marion porte la parole des nationaux » outre-Atlantique. « On est plutôt fiers qu’elle représente nos idées aujourd’hui à la tribune à Washington », enchérit Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen. D’ailleurs, s’empresse d’ajouter ce dernier sur BFMTV, si la nièce prodigue veut revenir, « elle sait très bien que le mouvement est ouvert, il n’y a pas de soucis ». Une semaine avant le début de l’épisode américain, Marine Le Pen l’avait confirmé devant la presse étrangère : « Aucun problème là-dessus : Marion peut revenir si elle veut revenir. »

Mais à 28 ans, Marion Maréchal-Le Pen n’est pas (encore) prête à remettre un pied dans le parti cofondé par son grand-père. Toujours très populaire chez les militants, elle n’ira pas non plus les saluer lors de leur congrès, les 10 et 11 mars. « Vous imaginez la scène ? Toute l’assemblée qui crierait Marion, Marion ! La tronche que Marine tirerait », s’amuse un observateur. Car Marion Maréchal Le Pen jouit d’un capital sympathie qui ne s’est guère émoussé depuis son départ, le 10 mai 2017, après la défaite de sa tante et le début de la crise au Front national. Peut-être, précisément, parce qu’elle l’a quittée à temps.