Dana Loesch, le 22 février, dans le Maryland. / JIM WATSON / AFP

D’ordinaire, dans les jours qui suivent une fusillade meurtrière sur le sol américain, la National Rifle Association (NRA) fait profil bas. Attend quelques jours que l’émotion retombe avant de reprendre son travail de sape contre toute tentative de renforcement de la législation anti-armes à feu. Mais la tuerie du lycée de Parkland, qui a fait dix-sept morts le 14 février en Floride, a bousculé la stratégie du lobby le plus controversé du pays.

Mercredi 21 février, la NRA a fait appel à son meilleur soldat pour aller débattre en direct, sur la chaîne de télévision CNN. Dana Loesch, porte-parole du groupe pro-armes, a fait face aux familles et aux proches des victimes. Devant les caméras, elle a répondu aux critiques des lycéens qui accusent la NRA d’arroser avec « l’argent du sang » les parlementaires américains afin qu’ils ne renforcent pas le « gun control ».

« Je ne crois pas que ce monstre dément aurait jamais dû se procurer une arme à feu », a expliqué la porte-parole, copieusement huée par le public du débat. La veille, sur Twitter, la plus célèbre avocate de la cause « pro-gun » avait ironisé :

« Les étudiants de Parkland se remettent à peine d’un traumatisme et étudient la législation sur les armes depuis une semaine, est-ce vraiment nécessaire de la part de CNN de les livrer en pâture à la plus vicieuse, malhonnête et radicalisée lobbyiste de la NRA ? »

« Revêtir l’armure complète de Dieu »

Jouer les pompiers de service est un art dans lequel Dana Loesch excelle. Si elle ne représente la NRA que depuis un an, cette grande brune quadragénaire n’hésite jamais à jouer la carte de la provocation pour faire entendre ses arguments. Une conviction qu’elle affiche jusque sur son bras droit, où elle a fait tatouer un passage de la Bible, qui appelle les croyants à « revêtir l’armure complète de Dieu », pour les protéger du diable.

Rien ne prédestinait la native du Missouri à occuper cette place de polémiste. Elevée par sa mère dans la religion baptiste, elle étudie le journalisme à l’université de Saint-Louis Community, qu’elle doit quitter précocement après un mariage et une première grossesse, à 21 ans. Politiquement, elle penche plutôt pour le camp démocrate, avant que le 11-Septembre la fasse adhérer aux réponses sécuritaires des Républicains.

Longtemps, elle se contente d’être mère au foyer, délivrant les cours à ses enfants à domicile, et rédigeant à l’occasion un billet sur son blog Mamalogues, qui devient rapidement un succès – distingué dans le top 50 des blogs sur la parentalité. Ses chroniques acides sont vite repérées par le quotidien St. Louis Post-Dispatch, qui lui offre une colonne.

Un « visage neuf » du Tea Party

En 2008, elle lance le « Dana show », émission de radio dans laquelle elle commente l’actualité avec véhémence. En 2009, elle cofonde l’antenne locale du Tea Party – mouvement libertarien qui double par la droite les Républicains. Elle est « le visage neuf d’un mouvement que beaucoup voudraient caricaturer comme une réunion d’hommes blancs en colère », écrit à son sujet le St Louis Post-Dispatch, en 2010.

Si elle poursuit ses incursions dans le monde des médias – elle sera nommée rédactrice en chef du site Big Journalism, soutenue par Andrew Breitbart, fondateur du site de l’alt-right Breitbart News – Dana Loesch gagne surtout en popularité. Invitée régulière des plateaux télévisés, elle impressionne tant que certains la comparent à Sarah Palin, l’ancienne gouverneure de l’Alaska choisie comme vice-présidente par le malheureux candidat républicain à la présidentielle 2008, John McCain.

Dana Loesch lors du débat du mercredi 21 février diffusé par CNN. / Michael Laughlin / AP

« Touche pas à mon arme »

Sur les réseaux sociaux, Dana Loesch gagne des followers en se livrant à des joutes verbales avec sa meilleure ennemie, la porte-parole du groupe anti-armes Moms Demand Action for Gun Sense in America (les mères demandent des actions pour un usage raisonné des armes), créé en décembre 2012 au lendemain de l’attaque de l’école élémentaire de Sandy Hook (vingt enfants et six enseignants tués).

En 2014, Dana Loesch publie le livre Hands Off My Gun : Defeating the Plot to Disarm America (Touche pas à mon arme : comment faire échouer le complot pour désarmer l’Amérique). Sur sa couverture, elle pose, perchée sur de vertigineux talons, avec un fusil d’assaut. Elle y explique avoir gagné ses convictions en faveur des armes à feu en grandissant dans un quartier violent, où « la peur pour sa vie était omniprésente ».

Consciente des ressorts de l’opinion publique, Dana Loesch n’a jamais hésité à mettre en scène sa vie. Elle photographie la pelouse de son domicile, rehaussée d’une pancarte indiquant que « cette maison est protégée par le bon Dieu et une arme ». Sur Instagram, elle se dépeint persécutée par le lobby anti-armes, contrainte de déménager à plusieurs reprises après des menaces.

La « guerrière télégénique »

Une recrue idéale pour la NRA, qui n’a pas hésité en 2017 à s’offrir les services de cette attachée de presse sur mesure capable de moderniser l’image d’une association très masculine et vieillissante. Et surtout, de répondre aux mères de victimes des armes à feux qui prennent de plus en plus la parole pour mettre les politiciens devant leurs responsabilités. Dans un portrait publié en janvier, le New York Times l’a baptisée la « guerrière télégénique » de la NRA.

Dana Loesch a pourtant failli rester sur la touche avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche : elle avait plutôt soutenu Ted Cruz en 2016. Un choix d’autant plus surprenant que la NRA avait très tôt soutenu la campagne du magnat de l’immobilier, mettant au moins 30 millions de dollars à sa disposition.

Risqué, ce pari de Dana Loesch illustre bien son profil de sniper, qui sert avant tout son propre destin. Régulièrement, elle se démarque de la NRA sur son compte Twitter, suivi par 723 000 personnes. A l’été, elle avait critiqué la nomination d’Anthony Scaramucci au porte-parolat de la Maison Blanche. Un tweet qu’elle a effacé depuis, en bon soldat.