Des avions de la compagnie Air France sur le tarmac de l’aéroport Roissy Charles-de Gaulle. / ERIC PIERMONT / AFP

La direction d’Air France est inquiète. L’appel à la grève lancé par dix syndicats de la compagnie (SNPL, SPAF, SNPNC, UNSA-PNC, UNAC, CGT, FO, SUD, Alter, CFTC et SNGAF) est quasi historique. « Du jamais vu depuis 1993 », explique Sandrine Techer, secrétaire de section du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC).

La journée de grève, organisée jeudi 22 février, devait réunir toutes les catégories de personnels – des pilotes aux hôtesses en passant par les non-navigants. Mercredi, la direction prévoyait d’assurer « 75 % de son programme de vols compte tenu d’un taux de grévistes estimé à 28 % pour cette journée ». Dans le détail, Air France a tenu à prévenir ses passagers que 85 % des vols court-courriers et 75 % des vols moyen-courriers seraient assurés tandis que seuls la moitié des vols long-courriers au départ de Paris seraient maintenus.

Toutefois, ces chiffres pourraient être largement sous-estimés avant le démarrage effectif de la grève. En effet, cette fois, l’intersyndicale aurait décidé de jouer avec les limites de la loi Diard qui oblige les salariés grévistes à se déclarer 48 heures avant le début du conflit.

Plutôt que de communiquer à la direction de la compagnie les déclarations au fur et à mesure de leur réception, comme lors des grèves précédentes, les syndicats ont tout adressé d’un bloc au tout dernier moment. Comme pour perturber, le recours par la direction à des personnels non grévistes pour réorganiser ses opérations de vols.

Plans de départs et suppressions de postes

Pour les syndicats, les chiffres fournis par la direction sont sous-estimés. « Nous sentons que les gens vont se mobiliser massivement », voulait croire Mme Techer. Et cette fois les syndicats réclament des augmentations de salaires.

Cette revendication est portée par les très bons résultats financiers enregistrés en 2017 par la compagnie aérienne – avec 590 millions d’euros de bénéfices. « Les salariés veulent leur part du gâteau », estime un ancien délégué syndical. Il rappelle que depuis six ans, les personnels ont enduré un blocage des salaires, des plans de départs à répétition et 10 000 suppressions de postes. L’intersyndicale réclame une hausse générale des rémunérations de 6 %. Très loin de la volonté de la direction.

A l’issue des négociations annuelles obligatoires, cette dernière a fait ratifier une augmentation de 1 % par deux syndicats représentatifs mais largement minoritaires, la CFE-CGC et la CFDT. Une « aumône », comme disent les syndicats qui ne passe pas.

Pour Sandrine Techer, le compte n’y est pas car les 1 % seront accordés en deux temps : « + 0,6 % en avril et + 0,4 % en octobre, soit au final une hausse de seulement 0,55 % sur l’année. » « Pour la première fois depuis 2011 nous avons débloqué les grilles de rémunérations », se défend Franck Terner, directeur général d’Air France.

Ce dernier a regretté, mercredi, « ce mouvement social ». Il serait, selon lui, « une mauvaise chose pour l’entreprise ». Surtout, le directeur général conteste le chiffrage des syndicats. A l’en croire, les salariés devraient toucher « entre 3 % et 4,5 % d’augmentation de leurs rémunérations cette année » en additionnant, notamment, les hausses de salaires individuelles, les promotions et l’intéressement versé par la compagnie. Un effort financier estimé à environ 200 millions d’euros.

Appel « à la responsabilité du gouvernement »

Surtout, la direction juge « déraisonnables et irréalistes » les revendications des syndicats. Ce seraient 240 millions d’euros supplémentaires qui viendraient s’ajouter aux 200 millions déjà accordés par la compagnie aérienne. Près de 440 millions d’euros au total qui pourraient largement écorner les 590 millions d’euros de bénéfices enregistrés par Air France en 2017. De plus, a plaidé M. Terner, la cagnotte dégagée par la compagnie l’an passé « est deux fois inférieure à celle de Lufthansa et trois fois inférieure à celle de British Airways », ses principales concurrentes en Europe.

Un calcul contesté par Philippe Evain, président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) d’Air France. Selon lui, la compagnie doit supporter « 500 millions d’euros de taxes indues par rapport à ses concurrents ». Le président du SNPL a sorti sa calculette : « au total Air France doit supporter environ 1 milliard d’euros de charges extérieures (hors carburant et salaires) en plus par rapport à ses rivales ». Et « 1 milliard [d’euros] de différentiel par rapport à KLM, c’est monstrueux », s’écrie M. Evain. A l’en croire, « les salariés de la compagnie ont pris conscience que cela ne peut plus durer ».

Pour l’heure, l’intersyndicale signale qu’elle ne mène « plus aucune discussion avec la direction ». Pourtant, M. Terner a assuré « continuer à dialoguer avec les organisations syndicales ». Le patron du SNPL en appelle « à la responsabilité du gouvernement. C’est à lui de dire à Air France de négocier. Le dialogue social doit reprendre ses droits ».

Sandrine Techer n’y croit guère. « La direction préfère peut-être se payer le coût d’une grève que de payer ses salariés », suppose la secrétaire de section SNPNC. Elle soupçonne Air France de vouloir mesurer « le degré de mobilisation des salariés » mais aussi de connaître « quelles catégories de personnels se mobiliseront le plus ». Une façon peut être de fracturer une intersyndicale qui inquiète beaucoup la direction de la compagnie.

« Le conflit va se durcir »

Faute de négociations avec la direction, les dix syndicats prévoient déjà de ne pas en rester là. « Ce n’est pas une journée de grève qui fera réfléchir la direction. Malheureusement ! », déplore Mme Techer. Elle pointe qu’une « importante grève tournante est menée depuis un mois déjà au sein des activités de maintenance sans résultats ».

Même son de cloche au SNPL. « le conflit va se durcir », prévient déjà M. Evain. Il signale que les « pilotes sont solidaires des autres catégories de personnels pour le rattrapage de l’inflation mais qu’ils ont aussi d’autres revendications catégorielles » encore aujourd’hui insatisfaites.

Pour préparer l’avenir, les dix organisations qui composent l’intersyndicale ont prévu de se réunir vendredi 23 février « pour décider de la suite à donner » à leur mouvement, fait savoir la secrétaire de section SNPNC. L’intersyndicale invite aussi les salariés à un rassemblement, jeudi, devant le siège d’Air France à Roissy.