C’est la énième escarmouche d’une bataille qui se livre depuis des années, au sein même de l’exécutif, entre différentes conceptions de la laïcité. Elle oppose cette fois Gilles Clavreul, préfet et ancien directeur interministériel de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie (Dilcrah), et Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité. Elle pourrait être l’indice que le nouveau quinquennat n’a pas, plus que le précédent, permis de sortir de cette controverse.

A la demande du secrétaire général du ministère de l’intérieur, Gilles Clavreul a été chargé, en septembre, de faire des propositions pour améliorer la coordination des administrations publiques en matière de laïcité, comme le recommandait l’Observatoire de la laïcité. Il vient de remettre au gouvernement un rapport, révélé par le site du Figaro, jeudi 22 février.

Son contenu a motivé une réaction très sèche de Jean-Louis Bianco. Ce rapport « méconnaît plusieurs actions déjà mises en œuvre par les pouvoirs publics », écrit-il dans un communiqué, citant les préconisations du rapport Clavreul concernant la création d’un site internet gouvernemental sur la laïcité, le renforcement de la formation à la laïcité pour les candidats au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) ou la formation des agents publics. M. Blanco conclut ainsi :

« Au final, si quelques propositions sont de bon sens, je regrette le manque de rigueur méthodologique de ce rapport (qui ne repose que sur des dizaines de témoignages dans neuf départements). »

Des accents alarmistes

Proche de Manuel Valls, membre fondateur du Printemps républicain, Gilles Clavreul est devenu, au fil des années, un défenseur actif, notamment sur les réseaux sociaux, d’une laïcité renforcée, et un participant assidu à des joutes avec, entre autres, des militants anti-islamophobie. Il assume d’avoir une conception de la laïcité éloignée de celle, plus juridique que politique, défendue notamment par l’Observatoire de la laïcité.

Lire aussi (édition abonnés) : Laurent Bouvet, le gladiateur de la laïcité

« Force est de constater, écrit-il dans l’introduction de son rapport, qu’il n’y a pas de consensus sur la définition et la portée de la laïcité, et que la dynamique de ces dernières années est plutôt centrifuge que centripète ».

Pour formuler ses propositions, il a interrogé, dans neuf départements, des représentants des administrations publiques, des cultes, des élus, des formateurs. Son constat a des accents alarmistes. Au terme de son enquête, il estime que « les manifestations d’affirmation identitaire inspirées par la religion se multiplient et se diversifient, même si les situations sont très hétérogènes d’un territoire à l’autre. (…) Les contestations de la laïcité et des principes républicains se manifestent dans des proportions nettement plus significatives dans les territoires de la géographie prioritaire de la politique de la ville », ajoutant que « ces manifestations et les perturbations qu’elles entraînent sont le fait, dans la grande majorité des cas, d’un islam rigoriste voire radical, mais concernent également catholiques intégristes, mouvements évangéliques et juifs orthodoxes ».

Des principes en « recul »

« Si la “laïcité dans les textes” est largement observée, la “laïcité dans les têtes”, et plus largement l’adhésion aux principes républicains reculent par endroits », écrit-il. Il évoque « un constat quasi général : dans les lieux où la population de confession musulmane est présente, parfois de façon très majoritaire, le rapport à la République se tend sous l’effet d’une foi de plus en plus ouvertement revendiquée ».

Gilles Clavreul formule un certain nombre de recommandations, comme « conditionner le soutien de l’Etat (attribution de subvention, agrément, soutien à un événement) à l’engagement de respecter et de promouvoir les valeurs de la République », ou parvenir à former tous les agents de l’État à la laïcité d’ici 2020. Mais c’est plus probablement le constat qu’il formule que l’on retiendra de son rapport.