Jean-Marie Le Pen, en octobre 2017. / Sarah Alcalay/Sipa

Jean-Marie Le Pen promettait ses Mémoires depuis si longtemps que même ses derniers fidèles n’y croyaient plus. L’ancien président du Front national, 89 ans, en sortira le premier tome le 28 février. Il a pensé l’intituler « Le Temps des épreuves », puis a opté pour Fils de la nation. Sur 450 pages, et pour 22,90 euros, ce volume couvrira la période 1928-1972, de sa naissance en Bretagne à la fondation du FN.

L’ouvrage sera en rayon dix jours avant le congrès au cours duquel sa fille Marine doit réclamer le changement de nom du parti, une garantie d’exposition médiatique. Pour la sortie en librairie, l’éditeur évoque une mise en place de 40 000 exemplaires. Étonnant pour une maison jusqu’ici inconnue. Les Éditions Muller n’ont rien publié depuis 2014. Elles ne figurent plus au registre du commerce et leur fondateur ne cache pas son embarras devant ce qui pourrait devenir le premier best-seller de la maison.

Joseph Muller a 84 ans. Chef d’entreprise et officier de réserve, il crée sa maison d’édition en 1990 pour publier des récits militaires. « On ne trouvait que les livres écrits par des généraux. Je voulais que les obscurs racontent l’histoire qu’ils avaient vécue », explique-t-il. Joseph Muller sort aussi plusieurs éditions de son Guide Muller, une mine de renseignements sur l’armée et ses métiers. C’est par la chambre de commerce des Hauts-de-Seine qu’il aurait trouvé un repreneur. L’affaire est conclue en 2009 pour 20 000 euros, selon les documents déposés au tribunal de commerce.

Ancien assistant de Jean-Claude Gaudin

L’acheteur s’appelle Guillaume de Thieulloy, 44 ans. À l’époque, il est assistant du sénateur UMP Jean-Claude Gaudin. C’est aussi l’auteur, chez Gallimard, d’une biographie du philosophe catholique Jacques Maritain. En 2013, Le Monde révèle qu’il dirige une lettre d’information islamophobe, Islam confidentiel.

Depuis, il se consacre à son groupe de presse, GT Éditions. Selon les derniers comptes disponibles, il a réalisé en 2015 un chiffre d’affaires de 580 000 euros. Il détient notamment plusieurs sites, comme Le Salon Beige, la référence de l’extrême droite catholique, ou L’Observatoire de la christianophobie.

Thieulloy a vite dissous les Éditions Muller mais a continué à utiliser leur marque pour sortir quelques livres, comme 10 très bonnes raisons de restaurer la monarchie. « On n’a pas du tout la même sensibilité, explique Joseph Muller. On avait une excellente réputation, on vendait tous nos livres, les auteurs étaient heureux. Ça me gêne beaucoup. Il a acheté une réputation. » Au passage, le nouvel éditeur a aussi mis la main sur un fichier de plus de 50 000 lecteurs à démarcher.

Guillaume de Thieulloy n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Ce gros coup m’est “tombé dessus”, sans que je l’aie cherché », a-t-il expliqué au quotidien d’extrême droite Présent. « Étant plus libre que la moyenne de mes confrères par rapport aux oukases de la bien-pensance, j’ai volontiers accepté de m’en charger », a-t-il justifié dans une interview à ses employés du Salon Beige. Il fallait rassurer un public qui, chez les Le Pen, juge Jean-Marie trop peu catholique et préfère sa petite-fille Marion.

« Il n’y a pas de nègre »

Lorrain de Saint Affrique, fidèle conseiller du patriarche, assure que le manuscrit a circulé « entre deux ou trois éditeurs » qui l’auraient refusé après « toutes sortes de pressions ». D’Albin Michel à Robert Laffont, on dément catégoriquement avoir reçu le texte ou envisagé un seul
instant de le publier.

« Il y aura un côté Cyrano de Bergerac, breton et pas gascon. Mais le vrai scoop, c’est le ton, le style. » Lorrain de Saint Affrique, conseiller de Jean-Marie Le Pen

De toute façon, l’auteur serait heureux chez cet éditeur discret. « Pour un premier roman à 25 ans, la collection “Blanche” de Gallimard, c’est formidable, explique son conseiller. Là, l’identification se fait sur Jean-Marie Le Pen. Vous avez moins besoin de la notoriété de la maison d’édition. » Le livre peut déjà être précommandé en ligne chez Amazon ou la Fnac.
Il sera diffusé en librairie par Hachette Livre.

En 1975, pour s’occuper pendant un voyage en voilier, Jean-Marie Le Pen aurait commencé à rédiger des souvenirs de jeunesse. En 2013, il aurait repris l’écriture, poussé par ses fidèles. Marie-Christine Arnautu, qui siège à ses côtés au Parlement européen, s’est chargée de taper
ses notes. « Les gens vont découvrir un Jean-Marie Le Pen qu’ils ne soupçonnent pas », s’enthousiasme-t-elle. « Il y aura un côté Cyrano de Bergerac, breton et pas gascon, promet de son côté Saint Affrique. Mais le vrai scoop, c’est le ton, le style. » La question nous démangeant, il précise que, non, « il n’y a pas de nègre ».

Le second tome serait en cours d’écriture. Il couvrira les grandes heures du FN et le récit « s’arrêtera à la minute où on le remettra à l’éditeur ». Ce qui permettra d’y inclure, au hasard, les ultimes rebondissements du conflit père - fille. Il reste à savoir si ces Mémoires trouveront des lecteurs. « Si c’est écrit comme un roman d’aventures, quelqu’un qui a eu une vie aussi riche peut faire un bon livre, juge un des principaux éditeurs de non-fiction parisiens. À cette réserve près que les électeurs du FN ne sont pas réputés être de gros lecteurs. Il y a un décalage entre électorat et lectorat… »