Alina Zagitova a remporté, à 15 ans, le premier titre olympique de son pays à Pyeongchang. / PHIL NOBLE / REUTERS

Le symbole ne pouvait mieux convenir aux dirigeants du sport russe : c’est une ballerine de 15 ans qui a apporté aux Athlètes olympiques de Russie (AOR) leur première médaille d’or des Jeux olympiques de Pyeongchang, quatorze jours et quatorze heures après la cérémonie d’ouverture. En s’imposant devant sa compatriote Evgenia Medvedeva au terme d’un concours de patinage artistique féminin ayant atteint des sommets, la prodige Alina Zagitova a remporté le titre devant de très nombreux drapeaux et spectateurs russes, venus en masse soutenir leurs patineuses à la Gangneung Ice Arena.

La menue Zagitova a reconnu avoir ressenti la pression de l’attente de tout un peuple. « J’ai vraiment tenté de ne pas y penser. Mais c’était impossible. Aujourd’hui, je savais que je n’avais pas le droit de faire la moindre erreur, car tout le monde espérait cette médaille. » Quelques mois plus tôt, en décembre, c’est Evgenia Medvedeva, 18 ans, que la Russie avait mise en avant à Lausanne, lorsqu’il avait fallu défendre devant le Comité international olympique (CIO) la participation des sportifs russes à Pyeongchang.

La jeune fille, double championne du monde, n’avait pas suffisamment attendri la commission exécutive du CIO. La Russie avait été laissée à la porte pour avoir mené « une attaque sans précédent dans l’histoire » contre l’intégrité sportive, en dopant ses athlètes et manipulant les contrôles antidopage aux précédents Jeux d’hiver, chez elle, à Sotchi.

Mais le président du CIO, Thomas Bach, avait tout de même laissé la porte ouverte aux athlètes, leur offrant la possibilité de participer aux Jeux sous pavillon olympique. Et vendredi soir, c’est l’hymne olympique, composition emphatique du Grec Spiros Samaras écrite pour les Jeux olympiques d’Athènes en 1896, qui sera diffusé sur la place des médailles, alors que deux bannières frappées des cinq anneaux seront hissées dans le ciel de Pyeongchang.

Le fondeur français Maurice Manificat a fait part publiquement de ses doutes vis-à-vis du jeune Denis Spitsov, triple médaillé à 21 ans seulement, expliquant qu’il verrait « dans quatre ans s’il y a des histoires »

Bien qu’il s’agisse de la première médaille d’or pour le camp russe, les Athlètes olympiques de Russie, dont les trois quarts n’étaient pas engagés à Sotchi, ont d’ores et déjà fait mieux que ce que prédisaient les études statistiques. Avec une probable 15emédaille en hockey sur glaces masculin, la délégation dite « AOR » égalerait le total obtenu par la Russie aux Jeux de Vancouver, en 2010. Malgré le tri rigoureux des athlètes, les doutes n’ont pas disparu dans l’esprit des adversaires des Russes.

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Le fondeur français Maurice Manificat a fait part publiquement de ses doutes vis-à-vis du jeune Denis Spitsov, triple médaillé à 21 ans seulement, expliquant qu’il verrait « dans quatre ans s’il y a des histoires ». « Beaucoup de leadeurs de notre équipe n’ont pas été invités aux Jeux, et ils ont été remplacés par de jeunes athlètes qui représentaient les équipes juniors hier », a souligné Stanislav Pozdniakov, le chef de mission du contingent AOR à Pyeongchang, en fin de première semaine. Les jeunes Zagitova et Medvedeva, arborant vendredi hors de la glace des vêtements dépareillés, sans symbole ni marque d’appartenance – chose rarissime aux Jeux olympiques –, ont focalisé leurs réponses sur des sujets strictement sportifs, esquivant les questions sur les différences entre les deux générations d’athlètes russes. Et celle sur l’absence de drapeau russe lors de la remise des médailles. Au-delà du nombre de médailles, c’est dimanche 25 février que la Russie saura si ses Jeux sont vraiment réussis. « La question pour nous n’est pas de nous battre pour la première place en équipe.Notre objectif principal est de rentrer chez nous avec le drapeau », confirme Stanislav Pozdniakov.

Amende payée in extremis

Confirmant son talent dans l’art de ménager des intérêts en apparence contradictoires, le CIO avait laissé la porte ouverte, dans sa décision du 5 décembre 2017, à une réintégration du Comité olympique russe dès la cérémonie de clôture. Et donc à un défilé des athlètes derrière le drapeau russe. Les doudounes aux couleurs de la Russie ont d’ailleurs déjà été fabriquées. Cette réintégration est toutefois soumise au respect de « la lettre et de l’esprit » de la décision du CIO. La lettre a été respectée in extremis : ce n’est que jeudi 22 février que l’amende de 15 millions de dollars (12 millions d’euros) infligée par le CIO a été versée par la Russie.

Pour l’esprit, c’est autre chose : la Russie, que les services secrets américains soupçonnent de pourchasser le lanceur d’alerte Grygory Rodchenkov sur leur sol, a contesté devant le Tribunal arbitral du sport (TAS) tant les suspensions que les interdictions de participation faites à plus de deux cents sportifs, toutes prononcées sur la base des enquêtes sur son système de dopage organisé.

Le contrôle positif au meldonium d’Alexander Krushelnitsky, médaillé de bronze à Pyeongchang dans l’épreuve mixte de curling, pourrait avoir porté un coup aux espoirs de réintégration de la Russie. Après avoir crié au complot, comme sa fédération, il a finalement renoncé à contester son contrôle positif devant le TAS. Si le comité chargé d’étudier la réintégration des Russes « agira dans l’intérêt du CIO et de tout le monde », selon sa présidente Nicole Hoevertsz, il ne fait toutefois aucun doute que la décision sera prise par Thomas Bach en personne. Et les déclarations de ses fidèles au sein du CIO, ces dernières heures, laissent présager une issue favorable à la Russie.

Mercredi 21, l’Allemand s’est entretenu avec Igor Levitine, proche de Vladimir Poutine et vice-président du Comité olympique russe. C’était seulement, a assuré le CIO, « pour lui souhaiter bon anniversaire ».