Le maire de Dakar, Khalifa Sall. / SEYLLOU / AFP

À chaque fin d’audience depuis un mois, Khalifa Sall, paré d’un boubou blanc et d’un sourire apaisé, quitte l’immense salle 4 du Palais de justice de Dakar sous les clameurs de ses supportrices venues chanter son innocence et demander sa libération. Vendredi 23 février, c’est la dernière fois que le maire de la capitale sénégalaise, accusé entre autres de détournements de fonds publics, salue l’assemblée avant le verdict prévu au 30 mars prochain. Les audiences sont terminées, l’affaire mise en délibéré et du parquet à la défense, tous semblent s’accorder sur la tenue exemplaire d’un procès médiatique et complexe comme le Sénégal n’en avait pas connu depuis longtemps.

Magistrat intransigeant mais équitable, le juge Malick Lamotte a réussi à préserver la sérénité des débats. Bien qu’il ait dû user à quelques reprises de mises en garde et d’expulsions à l’égard d’avocats séditieux, aux plaidoiries émaillées de bons mots et parfois de piques frôlant l’injure. Un procès sous tension, qui a subi interventions impromptues, cris de soutien aux accusés et transes religieuses dans le public. Les citoyens sénégalais sont venus en nombre occuper les 1 300 places de la salle où siège le tribunal de grande instance hors classe de Dakar.

La dernière semaine d’audience s’est ouverte lundi 19 février sur la défense des deux percepteurs municipaux, Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré, accusés d’association de malfaiteurs, de complicité de détournement de deniers publics et complicité d’escroquerie portant sur des deniers publics. Ils avaient à charge de valider, entre 2011 et 2015, les factures de tonnes de mil et de riz et leurs justificatifs fournis par la mairie, afin d’autoriser les décaissements d’une caisse d’avance. Des mouvements irréguliers mis en cause dans ce dossier.

Cabale politique

Ces factures incriminées comme étant des faux auraient servi à sortir près de 30 millions de francs CFA (45 700 euros) par mois sur cinq ans, soit la somme d’1,8 milliard de CFA (2,8 millions d’euros) pour laquelle Khalifa Sall, le maire de Dakar, est accusé entre autres chefs d’inculpation, de « détournements de fonds publics ». Mais pour les 25 avocats du maire, celui-ci a hérité d’un mécanisme de fonctionnement lié à la comptabilité de la mairie bien antérieur à son élection en 2009. « Cette caisse d’avance existait déjà sous Lamine Guèye [maire de Dakar de 1945 à 1961] puis sous Senghor qui a repris la ville en 1962, avançait mardi l’avocat de la défense Mbaye Sène à la barre. L’Etat sénégalais a toujours approuvé ces caisses. Il était bien au courant. »

La stratégie de la défense est depuis le début de ce procès de prouver que la caisse d’avance est le réceptacle de fonds politiques destinés au secours de la population dakaroise, à son assistance, ainsi qu’à des dépenses municipales diverses. Selon les proches du maire, Khalifa Sall serait l’objet d’une cabale politique visant à l’éliminer de la course à la présidentielle dont le premier tour est fixé au 24 février 2019, dans une année jour pour jour. Même si cet adversaire politique du président Macky Sall n’a jamais admis se porter candidat, sa popularité lui confère le rôle de premier opposant à la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar. Dans le camp du maire, on prête volontiers à Macky Sall une stratégie visant à reprendre dans son giron la puissante capitale sénégalaise, pièce maîtresse de l’échiquier politique, en possession des socialistes depuis l’élection de Khalifa Sall.

Ainsi, le gouvernement « ne pouvant pas l’éliminer sur le terrain politique, la justice a été appelée à la rescousse », lançait Mbaye Sène mercredi. Une accusation que les six avocats de l’Etat, partie civile dans ce dossier, rejettent sans détour. « Aucun texte de loi ne dispose que les fonds de la caisse d’avance sont des fonds politiques. Ce sont des vues de l’esprit », martèle Maître Baboucar Cissé. Quant aux attaques voulant écarter l’Etat de la procédure, au prétexte qu’il ne pourrait se constituer partie civile car ce détournement ne lui aurait pas porté préjudice, l’avocat rétorque : « Ils parlent de l’autonomie financière de la ville, alors que celle-ci reçoit des fonds de l’Etat ventilé dans tout le budget y compris dans cette caisse d’avance. L’Etat est bien victime de cette affaire. »

Sept ans ferme requis

Malgré les longs réquisitoires, se terminant parfois tard dans la nuit, un nœud n’a pourtant toujours pas été démêlé. Si les fonds n’ont pas été alloués à l’achat de mil et de riz, aucune trace d’enrichissement personnel, de mouvements financiers obscurs, n’a pu être révélée chez les huit prévenus. « Comment pouvez-vous parler de détournement de fonds à hauteur de 1,8 milliard ? Mon client travaille avec le maire, il est locataire, paie 75 000 francs CFA de loyer, n’a pas de voiture et on me dit qu’il s’est enrichi », lançait l’avocat d’un co-prévenu de Khalifa Sall, vendredi. Un argument repris par Maître Bamba Cissé : « Il n’y a pas la preuve que Khalifa Sall s’est approprié personnellement les deniers qui ont profité aux populations de Dakar ».

Selon Thomas Amico, avocat français appelé par l’Etat sénégalais pour le représenter, « rien dans les textes n’exige de caractériser un enrichissement personnel. Une remise frauduleuse suffit à caractériser l’infraction. (…) Si l’on ne retrouve pas ces fonds, c’est qu’il s’agit de blanchiment. Les fonds de l’infraction ont pu être écoulés. Une mallette de 30 millions, on peut la donner aux petits commerçants, à la famille, aux proches… »

Vendredi, le procureur Sérigne Bassirou Guèye a requis sept ans ferme et une amende de 5,49 milliards de francs CFA (8,37 millions d’euros soit trois fois le montant supposément détourné) contre Khalifa Sall et Mbaye Touré, le directeur administratif et financier de la Ville de Dakar. Il a réclamé des peines de deux ans, dont un avec sursis, à cinq années de prison ferme contre quatre prévenus et la relaxe pour les deux percepteurs. Quant à l’Etat du Sénégal, il réclame plus de 10 millions d’euros de dommages et intérêts au maire et à ses coaccusés.

Khalifa Sall qui a réaffirmé vendredi soir à la barre sa « détermination à servir ce pays », assurant n’avoir « jamais eu un quelconque reproche » dans ses fonctions politiques, pourrait aussi perdre ses droits civiques, s’il est reconnu complice de faux et usage de faux sur un document administratif. Une décision qui mettrait un terme à ses ambitions politiques.