Jouable à quatre, « After-H » est d’abord pensé pour huit joueurs. L’arme en plastique, plus immersive, demeure optionnelle. / CORENTIN LAMY / « LE MONDE »

L’e-sport est-il un avenir possible pour la VR ? Deux ans après la sortie des principaux casques de réalité virtuelle, le taux d’équipement des foyers reste désespérément bas, et l’avenir commercial immédiat de la technologie semble plutôt se trouver dans les domaines médicaux ou culturels, ou du côté des salles d’arcade spécialisées.

Pourtant, certains continuent à croire en un succès de masse des jeux vidéo en réalité virtuelle. Et commencent à placer leurs billes en prévision d’une future évolution des usages. Il y a du travail : encore aujourd’hui, la plupart des jeux pour les casques de VR sont de courtes expériences ludiques, destinées à amuser quelques minutes. SmartVR en sait quelque chose : jusqu’ici, la société française a travaillé sur des projets de commande pour des entreprises, ou sur des expériences aux ambitions raisonnables, à l’image de Top Floor, pastille vertigineuse dans laquelle il s’agit de marcher en fragile équilibre sur une poutre de métal.

Fusils futuristes en plastique

Avec After-H, disponible depuis le 8 février sur la boutique en ligne de SmartVR et dans certaines salles d’arcade, l’entreprise entend passer la seconde et proposer « un des premiers FPS [first-person shooter, jeu de tir à la première personne] en VR ». Un numéro d’équilibriste qui n’a rien à envier à celui du héros de Top Floor.

Aujourd’hui, la réalité virtuelle pratiquée comme un sport, c’est simple : cela n’existe pas. Pour voir à quoi cela pourrait ressembler, il fallait se rendre au Salon Virtuality, qui se tenait du 8 au 10 février à Paris. Là, dans les travées d’un Salon plus souvent réservées aux conversations feutrées entre professionnels, le stand de SmartVR détonnait.

Voir des joueurs coiffés de casques de réalité virtuelle, sanglés de PC dans le dos, ne surprenait ici personne. Il était en revanche plus inhabituel, même à Virtuality, d’en croiser quatre d’un coup, répartis sur une scène de 10 mètres carrés, tenant fermement des fusils futuristes en plastique. Au mur, des écrans retransmettaient ce que les joueurs voyaient dans leur casque. Sur le côté de la scène, deux « casters », des commentateurs, expliquaient, enthousiastes, les enjeux et l’avancée de la partie en cours.

OFFICIAL TRAILER AFTER-H - VR eSport FPS
Durée : 01:01

Faire un jeu équilibré

Dans les faits, After-H est un jeu assez classique, sorte d’équivalent futuriste de Counter-Strike. Deux équipes de quatre joueurs s’opposent dans les ruines d’une base martienne. Quelques fonctionnalités viennent apporter une touche d’originalité, comme la présence d’un radar, la gestion des munitions, ou encore une aide à la visée, mais c’est bien l’immersion au sein de cette arène de réalité virtuelle qui différencie le jeu de ses concurrents.

Jean Mariotte, cofondateur de SmartVR, énonce les trois piliers qui, selon lui, permettent à un jeu de prétendre au statut de titre e-sportif : l’équilibre, l’absence de facteur chance, et un mode spectateur.

Concernant l’équilibre, il estime même que la VR « apportera une dimension nouvelle ». Pour lui, ce ne sont plus simplement les réflexes ou la lecture du jeu qui fera la différence, mais également la dimension physique. Dans After-H, pour s’accroupir, se pencher, ou se retourner rapidement et précisément, il ne faut pas seulement être habile de la souris : il faut surtout avoir une parfaite maîtrise de son corps : « Je pense que les joueurs VR e-sport vont devoir avoir un entraînement physique plus poussé que sur un Counter-Strike ou un Call of Duty. »

Pour le mode spectateur, qui permet à tout un chacun de suivre les performances des « athlètes », il y a encore des pistes d’amélioration possibles :

« La difficulté, c’est de faire un rendu 2D d’une expérience 3D immersive… Forcément, quand on suit le match, un écran, ça n’a rien à voir avec ce que vous pouvez vivre avec un casque. Peut-être qu’à terme on pourra faire un mode spectateur qu’on pourra suivre avec un casque VR, pour être au cœur de l’expérience. »

Un objectif qui n’est pas pour tout de suite, la faible diffusion des casques de réalité virtuelle n’en faisant pas vraiment une priorité pour l’entreprise.

Fédérer une communauté

Et c’est là que le bât blesse. Il ne suffit pas de s’autoproclamer « jeu e-sport » pour le devenir. Il faut d’abord fédérer une communauté suffisamment importante et engagée pour qu’en émergent des champions – et, surtout, pour attirer des sponsors. Deux préalables avant d’atteindre une vraie popularité, à même de remplir des salles.

Sauf que le casque de réalité virtuelle est encore très loin d’être populaire. Avec deux petits millions d’exemplaires vendus en décembre 2017, un an après sa sortie, celui de Sony (qui ne fonctionne du reste pas sur PC, donc pas avec After-H) fait figure de leadeur du secteur. Les concurrents sont encore plus à la traîne.

Mais pour Jean Mariotte, pas besoin de remplir des stades. L’objectif à court terme est d’atteindre, « rapidement », 10 000 joueurs par semaine, notamment grâce à la version Steam du jeu, qui devrait être disponible avant la fin de l’année sur la boutique en ligne. Un nombre, selon lui, suffisant pour pouvoir prétendre à faire naître une scène e-sport. Pour l’heure, le jeu n’est disponible que sur la plate-forme du développeur, avec une offre que son tarif (200 euros hors taxe par mois pour accéder à l’intégralité du catalogue) réserve de facto aux professionnels.

Le marché des salles d’arcade

Il le reconnaît toutefois : ce n’est pas sur les ordinateurs que va se jouer le succès d’After-H. Ou, en tout cas, pas avant 2020. D’ici là, c’est le marché des salles d’arcade que vise SmartVR. « C’est une première étape : il y a une centaine de salles dans le monde entier avec lesquelles on travaille. » Certaines ont déjà adopté le jeu, à l’image de MindOut, dans le 3e arrondissement de Paris.

Jean Mariotte garde à l’esprit un espoir un peu fou : celui de voir ouvrir des salles free roam (« libre exploration ») de plusieurs centaines de mètres carrés, qui reproduiront en taille réelle les obstacles des arènes du jeu. Là, les joueurs ne seront plus confinés à leur salon ni au booth (« cabine ») d’une salle d’arcade, mais pourront courir réellement sur le champ de bataille, à l’image de ce que permettent déjà les « laser games ».

Jean Mariotte l’envisage comme un mode « premium », dans lequel les joueurs les plus engagés iront se confronter aux autres champions, entre deux entraînements dans leur salon. Même s’il ne peut « malheureusement » pas pour le moment annoncer où se trouveront ces salles, les premières pourraient, c’est en tout cas son souhait, ouvrir d’ici à la fin de l’année.