Le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, au centre de recherche automobile, à Coventry (West Midlands), le 26 février. / BEN STANSALL / AFP

Jeremy Corbyn a, finalement, franchi le pas. Après de longs mois à entretenir le flou, le leader du Parti travailliste a appelé, lundi 26 février, à rester dans une union douanière avec l’Union européenne après le Brexit, ce qui permettrait à la fois de conserver des relations sans entrave sur le commerce des biens (mais pas des services) et d’éviter – au moins partiellement – une frontière en Irlande du Nord.

Cette annonce se rapproche d’un « Brexit doux », demandé à grands cris par de nombreux membres du Parti travailliste, par opposition au « Brexit dur » prôné par les partisans d’une rupture radicale avec l’UE. Elle souligne l’évolution progressive de l’opinion publique sur le sujet, M. Corbyn, personnellement très eurosceptique, n’ayant sans doute pas osé une telle prise de position il y a quelques mois. Elle est aussi une peau de banane politique pour la première ministre Theresa May : le Labour pourrait potentiellement s’allier à la poignée de députés conservateurs rebelles sur le sujet et provoquer la défaite du gouvernement à la Chambre des communes.

La construction économique européenne repose sur deux piliers essentiels : le premier est l’union douanière – les pays membres ont des tarifs douaniers identiques vis-à-vis du reste du monde ; le second pilier est le marché unique, fondé sur la libre circulation des travailleurs, des capitaux et des biens – les normes et les standards y sont unifiés, ce qui permet en son sein d’éviter les barrières douanières dites « non tarifaires », y compris dans les services (en particulier, la finance).

Eviter un « choc économique »

M. Corbyn a décidé de rester dans le premier cercle, mais s’oppose au maintien dans le second. « Quand 44 % de nos exportations vont vers l’UE, et que 50 % de nos importations viennent de là, il est dans notre intérêt mutuel de ne pas avoir de tarifs douaniers. (…) Nous chercherons un accord d’union douanière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne », a-t-il expliqué depuis un centre de recherche automobile, à Coventry (West Midlands). Selon lui, c’est la seule façon d’éviter un « choc économique » au moment du Brexit. La sortie de l’Union européenne est prévue pour le 29 mars 2019 mais devrait être suivie d’une période de transition, jusqu’à la fin 2020.

Pour justifier ce changement de cap, M. Corbyn prend l’exemple de la Mini, une voiture fabriquée par BMW dans son usine d’Oxford, dont les pièces détachées traversent trois fois la Manche pendant le processus de construction. Sortir de l’union douanière et imposer des inspections à chaque passage de frontière, mettraient à mal cette chaîne logistique. « Nous devons trouver un accord qui met en priorité l’emploi et le niveau de vie », plaide le dirigeant travailliste.

Rester dans l’union douanière permettrait aussi de résoudre partiellement l’épineux problème de l’Irlande du Nord. Voilà presque vingt ans que la paix a été signée, avec l’accord de paix du Vendredi saint de 1998. Aujourd’hui, la frontière avec la République d’Irlande a complètement disparu. Au-delà de son impact économique, le retour des douanes, même dans un format allégé, ouvrirait un contentieux politique explosif.

Pour ses opposants, l’annonce du leader du Parti travailliste revient pourtant à abandonner l’un des Graals du Brexit : la possibilité de signer des accords de libre-échange avec le reste du monde. Après sa sortie, le Royaume-Uni devrait choisir entre mener sa propre politique commerciale ou respecter celle de l’Union européenne et, donc, dépendre des accords conclus par elle – comme c’est, par exemple, le cas de la Turquie, à ce jour.

Le soutien des milieux d’affaires sur la question

David Davis, le ministre du Brexit, accuse M. Corbyn de vendre de « la poudre de perlimpinpin » (snake oil) avec sa proposition. Le leader travailliste, soutenu par les milieux d’affaires sur la question, réplique avec deux arguments. « Je ne crois pas qu’un accord de libre-échange avec la Chine ou les Etats-Unis compenserait la perte de notre accord avec l’UE. » De plus, il demande d’avoir un droit de regard sur les futurs accords de libre-échange que l’UE pourrait passer : « Nous ne pouvons pas simplement subir les règles qu’on nous imposerait. » Cette clause risque d’être difficile à négocier avec Bruxelles.

Par ailleurs, M. Corbyn – sans le dire explicitement – semble toujours exclure de rester dans le marché unique. Il estime que Bruxelles limite trop la politique d’intervention économique et de nationalisations qu’il entend mener s’il devient premier ministre. Il s’en prend, en particulier, à l’encadrement par l’UE des aides d’Etat versées aux entreprises.

Le sauvetage par le gouvernement britannique de Royal Bank of Scotland, il y a dix ans, est pour lui un bon exemple : en échange de cette aide, Bruxelles a imposé à la banque, terrassée par la crise des subprimes, de vendre certains actifs. « Les contribuables ont été forcés de conserver les moins bons morceaux et de vendre les meilleurs. »

Sortir du marché unique permettrait aussi d’imposer des restrictions à la libre circulation des personnes au sein de l’UE, ce qui était l’une des premières motivations des électeurs du Brexit. « La liberté de mouvement va s’arrêter », affirme M. Corbyn, même s’il précise que l’économie britannique restera largement ouverte aux migrants.

Derrière ce positionnement du Parti travailliste se trouve aussi un calcul politique. Une loi sur l’organisation des douanes après le Brexit est actuellement en débat au Parlement. Deux députés conservateurs rebelles y ont déposé un amendement pour imposer au Royaume-Uni de rester dans l’union douanière. Potentiellement, le Labour pourrait décider de les soutenir. Si une vingtaine de députés conservateurs s’y joignent, le gouvernement pourrait perdre le vote à la Chambre des communes. De quoi précipiter de nouvelles élections ? Rien n’est moins sûr, mais cela affaiblirait un peu plus Theresa May. Interrogé sur une telle tactique, Jeremy Corbyn a soigneusement évité de répondre.