Jusqu’ici, Kendrick Lamar avait tout bon. Le rappeur de Compton (Californie), 30 ans, n’avait commis aucun impair tout au long de sa jeune carrière sauf ce dimanche 25 février, à l’AccorHotels Arena. Pour le premier de ses deux concerts donnés à guichets fermés à Paris, il a péché par orgueil. Lui qui dans ses quatre albums studio avait montré un profond respect pour les musiciens, notamment en faisant jouer la jeune garde du jazz de Los Angeles sur le remarquable To Pimp a Butterfly (2015), a eu cette idée saugrenue pour sa tournée 2018 : le groupe qui l’accompagne pendant les 90 minutes de concert est invisible. Batteur, bassiste et guitariste sont relégués dans une fosse, côté cour. Dans l’obscurité, ils s’en donnent pourtant à cœur joie pour dynamiser les bandes-son diffusées sur scène.

La scénographie du spectacle est conçue pour que les 17 000 spectateurs ne voient que celui que le magazine Rolling Stone a désigné comme « le meilleur rappeur vivant » lors de la sortie, au printemps 2017, de son quatrième album, DAMN. Il donne le nom à cette tournée qui a triomphé cet été aux Etats-Unis et connaît le même succès en Europe depuis le début de février. Mis en vente en octobre, les billets – pourtant chers pour un concert de hip-hop, de 73 à 106 euros – se sont arrachés.

Lire la critique de « DAMN. » : Une poésie corrosive rare dans le rap des années 2010

C’est que Kendrick Lamar, fils d’un caissier de fast-food, neveu de membres de gangs, notamment des Bloods de son quartier, est un peu le Monseigneur Bienvenu du rap américain. Le personnage des Misérables de Victor Hugo, évêque au grand cœur, faisait payer très cher aux riches pour redistribuer aux pauvres, préférait la compagnie des indigents à celle des notables et pardonnait à Jean Valjean plutôt que le condamner à perpétuité. Kendrick Lamar Duckworth est un peu pareil.

Chaque été, sa fondation emmène les gosses des trois logements sociaux de Watts au musée ou à la plage

Il avoue, toujours dans Rolling Stone, que la seule chose qui l’amuse, c’est d’emmener ses copains tout juste sortis de prison en tournée. Il est capable d’exiger de sa maison de disques, Interscope Records, le règlement d’un jet privé pour ses venues promotionnelles ; ou un cachet de concert à 1 million de dollars (813 000 euros). En même temps, il organise un concert gratuit annuel à Nickerson Gardens, dans le quartier de Watts, en offrant un jouet aux enfants. Chaque été, sa fondation emmène les gosses des trois logements sociaux de Watts au musée ou à la plage.

Et pour la sortie du film Black Panther dont il a réalisé la bande originale, il a distribué des places de cinéma. Il peut se le permettre. Selon le magazine Forbes, Lamar a gagné 63,8 millions ces cinq dernières années. Ses chansons sont écoutées en ligne plusieurs milliards de fois, plus que celles de Beyoncé ou de Bruno Mars. Celles de DAMN., tout juste auréolé de cinq Grammy Awards, dont celle du meilleur album rap de l’année, n’échappent pas à la règle.

Kendrick Lamar - Swimming Pools (Drank) (Clean)
Durée : 03:52

Joyeuse communion

Sur scène, il avance tel un messie sur un plateau immaculé, drapé dans un long manteau en laine blanche. En fond, les images de ses clips ou celles d’un court-métrage qui le montrent tel un moine shaolin. Au plafond, un autre plateau vidéo qui, au mieux, le met en perspective, au pire l’écrase, comme si le ciel tombait sur la tête de « ce bon gamin qui a grandi dans une cité de cinglés » : Good Kid, M.A.A.D City, nom de l’album produit par Dr Dre qui l’a rendu célèbre en 2012 et dont il joue deux extraits, Swimming Pools et Bitch, Don’t Kill my Vibe.

Kendrick Lamar - Bitch, Don't Kill My Vibe (Explicit)
Durée : 05:13

Sa technicité derrière un micro pourrait suffire à remplir l’espace, mais K. Dot (son premier nom d’artiste) peine à faire oublier l’absence des musiciens qui avaient enchanté les concerts de la précédente tournée ou son énergie lors de ses passages au Bataclan en juin 2012 et en janvier 2013 – le rappeur prend la parole après trois titres pour rappeler ce lointain souvenir parisien et rendre hommage à ses premiers fans.

Kendrick Lamar - Alright
Durée : 06:55

Le récital connaît pourtant ses moments magiques de joyeuse communion lors d’Alright, hymne non officiel du mouvement Black Lives Matter, pendant Lust, quand Lamar rappe dans une cage au milieu de la foule, ou Humble, que ses fidèles entonnent a cappella. Son refrain pourrait résonner comme un conseil à son auteur : « Reste simple, Kendrick ». Et laisse monter tes musiciens sur scène.

Kendrick Lamar. Le 26 février (complet), à l’AccorHotels Arena de Bercy. Le 24 août, à l’U Arena de Nanterre. www.kendricklamar.com/tour