Editorial du « Monde »

Que peut l’ONU contre « l’enfer sur terre » ? L’expression est de son secrétaire général, Antonio Guterres ; elle désigne la situation des 300 000 à 400 000 civils piégés sous les bombes dans les immeubles en ruine de la Ghouta orientale, aux abords de Damas. Première zone à se rebeller contre la dictature de Bachar Al-Assad en 2011, la Ghouta orientale est aujourd’hui l’une des rares poches de résistance que le régime syrien, appuyé par la Russie et l’Iran, n’ait pas encore vaincues. Cible d’attaques chimiques en 2013, pilonnée sans relâche, elle connaît aujourd’hui, avec le Yémen, la pire situation humanitaire de la planète. Des enfants y meurent tous les jours, les hôpitaux y sont systématiquement bombardés. En droit international, cela s’appelle des crimes de guerre.

Alors, que peut l’ONU ? Produire une résolution du Conseil de sécurité, pour commencer. La résolution 2401, adoptée samedi 24 février à l’issue de pénibles tractations qui ont permis d’éviter un douzième veto russe depuis le début de la guerre, exige une cessation des hostilités « sans délai » sur l’ensemble du territoire syrien, pendant un mois, pour permettre aux organisations humanitaires de venir en aide à la population. Le texte est évidemment piégé par les limites qui ont permis à ses négociateurs d’obtenir l’unanimité au Conseil de sécurité : des exceptions au cessez-le-feu sont prévues pour les combats contre l’organisation Etat islamique (EI), Al-Qaida et le Front Al-Nosra. A la demande de Moscou, elles intègrent aussi « d’autres individus, groupes, entités, associés avec Al-Qaida et l’EI, ainsi que d’autres groupes terroristes désignés par le Conseil de sécurité ».

Ces exceptions ont immédiatement été mises en avant par Moscou, ainsi que par Ankara, dont les troupes sont engagées dans la région d’Afrin, dans le nord de la Syrie. Lundi 26 février au matin, aucune trêve n’était observée ; selon notre correspondant à Beyrouth, cependant, les bombardements aériens sur la Ghouta orientale avaient baissé d’intensité et fait place à des affrontements au sol.

Trump aux abonnés absents

La balle est maintenant dans le camp du président Vladimir Poutine. La décision de la Russie de ne plus opposer son veto pourrait indiquer une volonté de Moscou de participer à la recherche d’une solution concertée à ce conflit vieux de sept ans, qui a fait des centaines de milliers de morts et provoqué le déplacement de la moitié de la population syrienne. Moscou, après avoir changé le cours de la guerre en Syrie en y intervenant militairement en 2015, peine à trouver la porte de sortie. La Russie a sauvé Assad au moment où son régime s’effondrait, elle l’a protégé contre les accusations sur l’usage d’armes chimiques, elle a encore limité les dégâts lorsque, tout récemment, la tension est montée entre l’Iran et Israël en Syrie.

En s’y impliquant aussi profondément, le président Poutine a fait de la Syrie « sa » guerre. Dans ce conflit devenu le théâtre des rivalités des grandes puissances et des puissances régionales, le chef du Kremlin ne peut guère compter sur les Etats-Unis pour l’aider à négocier une solution : le président Donald Trump est aux abonnés absents. C’est dans ce contexte que la France et l’Allemagne tentent à présent de peser auprès de la Russie, et que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, se rend à Moscou mardi. Bonne chance, monsieur le Ministre.